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Mustafa Kemal Atatürk

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Mustafa Kemal Atatürk (né à Salonique le 12 mars 1881 - mort à Istanbul le 10 novembre 1938) est le fondateur et le premier président de la République turque.

Après la Première Guerre mondiale et l’occupation alliée de l’Empire ottoman, ce militaire de carrière refuse de voir l’Empire ottoman être démembré par le traité de Sèvres. Accompagné de partisans, il se révolte contre le gouvernement impérial et crée un deuxième pouvoir politique à Ankara. C’est de cette ville qu’il mène la guerre contre les occupants à la tête de la résistance turque.

Sous son commandement, les forces turques vainquent les armées arméniennes, françaises et italiennes. Puis il défait les armées grecques qui occupent la ville et la région d’Izmir, la Thrace orientale et certaines îles de la mer Égée. Après la bataille de Sakarya, la Grande assemblée nationale de Turquie lui donne le titre de Gazi (le victorieux) ; il parvient ensuite à repousser les armées grecques hors de Turquie. Suite à ces victoires, les forces britanniques choisissent de signer un premier armistice avec lui et s’engagent à quitter le pays.

Mustafa Kemal affirme également une volonté farouche de rupture avec le passé impérial ottoman et de réformes radicales pour son pays.

Il profite de la trahison du sultan avec l’armistice de Moudros pour mettre un terme au sultanat le 1er novembre 1922. Il instaure de la sorte une séparation entre le pouvoir politique (sultanat) et spirituel (califat).

Après la proclamation de la République, il déplace la capitale d’Istanbul à Ankara et il occidentalise le pays à travers plusieurs réformes. Notamment, il laïcise la Turquie, donne le droit de vote aux femmes et remplace l’alphabet arabe par l’alphabet latin. Sous sa présidence autoritaire, la Turquie a mené une révolution sociale sans précédent, qu’on appelle généralement révolution kémaliste. Le 24 novembre 1934, l’Assemblée lui donne le nom d’Atatürk « père des Turcs. »

Il meurt d’une cirrhose du foie le 10 novembre 1938. Au cours des funérailles nationales il est enterré au musée ethnographique d’Ankara. Sa dépouille repose aujourd’hui dans le mausolée dit de l’Anıtkabir.

Jeunesse et activités politiques

Mustafa Kemal Atatürk est né en 1881 avenue Islâhhâne dans le quartier de Kocakasım, à Salonique (actuelle Thessalonique). Le jour exact de sa naissance est inconnu. Sa maison natale est actuellement le siège du consulat turc et abrite également un musée.

Son père se nomme Ali Rıza Efendi et sa mère Zübeyde Hanım. Son grand-père paternel Hafız Ahmet Efendi descend des tribus nomades Kocacık (Turkmènes Yürüks), originaires de Konya et d’Aydın, qui se sont établies en Macédoine aux XIVe siècle et XVe siècle. Sa mère appartient à une vieille famille établie au bourg de Langaza dans les environs de la même ville. Des cinq frères et sœurs d’Atatürk, quatre meurent en bas âge et seule Makboulé vécut jusqu’en 1956.

Mustafa Kemal commence son éducation à l’école coranique du quartier de Hafız Mehmet Efendi ; puis, suivant la volonté de son père, il entre à l’école laïque privée Şemsi Efendi. C’est à cette époque que son père meurt, en 1888. Sa mère s’installe alors à une trentaine de kilomètres de Thessalonique dans une ferme où travaille son frère. Mustafa Kemal doit cesser sa scolarisation pour devenir berger. Devant son refus de recevoir l’enseignement d’un pope grec, puis d’un imam, sa mère décide alors de le rescolariser à Thessalonique où il est hébergé chez sa tante.

En 1893, alors qu’il a douze ans, il se présente au concours d’entrée au collège militaire sans en parler à quiconque. Sa mère craint les vicissitudes et les conditions difficiles de la vie militaire dans l’Empire ottoman. C’est dans cette école que son professeur de mathématiques Mustafa Bey décide d’ajouter « Kemal » (parfait, complet) à son nom pour ses talents en mathématiques, parce que « deux Mustafa dans la même classe, c’est trop ».

Dans les années 1896 à 1899 il termine deuxième de sa promotion au lycée militaire de Manastir. À cette époque, les seules études supérieures possibles étaient les études de théologie et les études militaires. Il entre à l’école de guerre d’Istanbul et ces études d’officier à l’occidentale le font entrer dans l’élite intellectuelle ottomane.
Il y découvre la littérature et la poésie. Ses auteurs préférés sont Voltaire, Rousseau, Auguste Comte, Camille Desmoulins et Montesquieu. C’est ainsi qu’il devient un admirateur des Lumières, mais également de la France révolutionnaire et il ne cache pas son admiration pour Napoléon.

En 1902 il sort de cette école avec le grade de lieutenant. Il entreprend ensuite des études à l’académie militaire, qu’il achève le 11 janvier 1905 avec le grade de capitaine.

Dans cette académie, il devient membre d’un comité secret qui diffuse un journal contestataire à l’égard du pouvoir impérial, Vatan. Il organise fréquemment les réunions du comité. Mais peu habitué aux méthodes d’agitation clandestine, il se fait arrêter avec ses amis du comité le 29 décembre 1904. Ils sont incarcérés à la prison rouge d’Istanbul où il reste enfermé plusieurs semaines.

À sa libération, il est dépêché à Damas. Puis, entre 1905 et 1907, il sert en Syrie dans la 5e armée, un régiment de cavalerie devant combattre les rebelles druzes. Il rencontre à Damas des dizaines d’officiers hostiles au sultan et au régime impérial. Il décide de créer une association révolutionnaire, Patrie et liberté qui vise à combattre et à renverser le sultan.

L’organisation grandit rapidement et possède bientôt des ramifications dans toutes les unités syriennes. Il ébauche un plan de coup d’État contre le sultan se basant sur une stratégie suivant laquelle toutes les unités ottomanes placées sous son contrôle marcheraient sur Istanbul et détrôneraient le sultan. Mais, face à trop de difficultés - les arabes ne seraient pas prêt à soutenir les ottomans, Istanbul et Damas sont beaucoup trop éloignés et ses hommes ne supporteraient pas un tel voyage, et enfin, le régime impérial aurait eu le temps de répondre à cette révolte militaire - le plan est finalement abandonné.

En 1907 il obtient le rang de Kolağası (entre capitaine et commandant). Il reçoit une lettre de son ami Fethi Okyar lui disant qu’il perd son temps en Syrie, et que la révolution qu’il attend se produirait dans les Balkans. Mustafa Kemal essaie donc de se faire transférer dans une garnison européenne. Il s’y emploie pendant plus d’un an, faisant jouer toutes ses relations au sein du ministère de la guerre. Il est finalement nommé à la 3e armée, basée à Salonique en 1907.

Là, il découvre une puissante organisation révolutionnaire : le Comité Union et Progrès. La même année, il adhère avec Fethi Okyar à la franc-maçonnerie. C’est à l’abri des loges que le Comité union et progrès se réunit. Mustafa Kemal adhère à la loge Vedata. Cette loge est composée en grande partie d’étrangers, ce qui le pousse à la quitter.

Au printemps 1908, la révolution Jeunes-Turcs éclate. Niazi, l’un des dirigeants du mouvement, s’isole avec une poignée de partisans dans les montagnes macédoniennes. Mais Mustafa Kemal ne suit pas immédiatement le mouvement, il est persuadé que la révolution serait un échec. Le sultan dépêche l’armée pour mater les maquisards, mais l’armée se révolte à son tour contre le sultan. Celui-ci rejette toutes les fautes sur ses conseillers et annonce la création d’un gouvernement constitutionnel. C’est une victoire pour les Jeunes-Turcs qui s’empressent de rétablir la constitution de 1876.

En 1910, il est envoyé en France et prend part à des manœuvres en Picardie. Il y découvre avec son ami Ali Fethi Okyar la Franc-maçonnerie française et se fait beaucoup d’amis qui l’aident plus tard dans la guerre d’indépendance à la fin de la Première Guerre mondiale. En 1911, il commence à travailler sous le commandement du chef d’état-major à İstanbul.

Bataille de Tripoli

En 1911, les troupes italiennes prennent Tripoli, territoire alors sous contrôle ottoman. Mustafa Kemal est volontaire pour partir au front.

L’armée ottomane manque cruellement de cadres dans ce pays, et la venue de Mustafa Kemal est appréciée. L’armée lui confie un poste dans la région de Tobrouk et de Derna. L’armée ottomane arrive à y repousser l’armée italienne. Le 22 décembre 1911 l’Empire ottoman remporte la bataille de Tripoli.

Le 6 mars 1912, il prend le commandement militaire de Derna.

Mais en octobre 1912, le Monténégro déclare la guerre à la Turquie, et est immédiatement suivi de la Serbie, de la Bulgarie et de la Grèce. Le gouvernement turc conclut en toute hâte un traité de paix avec les Italiens et ordonne à ses troupes d’évacuer la Libye. Mustafa Kemal repart en direction de la Turquie.

Guerre des Balkans

De retour en Turquie, Kemal y trouve une situation déplorable : les armées ottomanes ont été battues sur tous les fronts. Les Serbes ont progressé sans rencontrer de résistance sérieuse et se sont emparés de Durazzo et de Monastir ; quant aux Grecs ils ont pris Salonique et ont fait plus de 25 000 prisonniers. Les Bulgares eux ont marché sur Istanbul et ont martelé les fortifications de Chataldja. Les Ottomans sont défaits dans pratiquement toutes leurs possessions d’Europe.

Mustafa Kemal prend alors part à la première guerre balkanique. Il est chef d’état major d’une division chargée de défendre la ligne de fortifications située en travers de la presqu’île de Gallipoli en face de Bulaïr. Au cas où cette position stratégique serait prise par les Bulgares, ils contrôleraient alors les Dardanelles, d’où ils pourraient envahir l’Anatolie et prendre Istanbul à revers. Les Bulgares lancent huit offensives qui sont toutes repoussées. Les villes de Dimetoka et d’Edirne sont reprises à l’ennemi. C’est une victoire pour Kemal.

À la fin de la guerre balkanique, le triumvirat confie la réorganisation de l’armée ottomane à l’Allemagne, ce qui irrite les officiers ottomans, dont Mustafa Kemal, qui ne cessent de dénoncer la germanophilie d’Enver Pacha. Pour se débarrasser de lui, ce dernier le nomme au poste de lieutenant-colonel et l’expédie comme attaché militaire à Sofia en 1913.

Première guerre mondiale

Bataille des Dardanelles

Suite à l’entrée en guerre de l’Empire ottoman au côté de l’Allemagne et de l’empire d’Autriche, Hakki Pacha affecte Kemal dans une unité commandée par le général allemand Liman von Sanders. Convaincu que l’attaque des alliés se passerait à Gallipoli, il y installe son quartier général.

L’attaque des alliés contre Gallipoli se précise. Von Sanders prépare ses troupes à défendre une côte longue de 80 km. Ne sachant pas où aurait lieu l’attaque principale, il crée trois unités de 20 000 hommes chacune se répartissant sur la côte. Mustafa Kemal reçoit le commandement du groupe situé devant le cap Hellès, au sud de la péninsule. (Voir article détaillé : Débarquement au Cap Helles).

Sanders charge Kemal de créer la 19e division à Tekirdağ, une brigade composée de Turcs et d’Arabes, à l’arrière des zones de débarquement.

L’attaque franco-britannique a lieu le 25 avril 1915. Mustafa Kemal, se trouve devant l’attaque principale. Il parvient à stopper la progression des Australiens pendant la journée que durent les combats. À la nuit tombante, la crête est toujours entre les mains des Ottomans. Mustafa Kemal contre-attaque durant la nuit et la journée qui suivent, sans parvenir à repousser les australiens. Il est cependant promu au rang de colonel pour avoir tenu la place.

Vers le début du mois de juin, il découvre un point faible dans les lignes ennemies et décide d’y effectuer une percée. L’attaque, préparée pour le 28 juin, doit être exécutée par un régiment turc d’élite, nouvellement arrivé à Gallipoli. L’offensive se solde par un échec cuisant, et le 18e régiment d’infanterie est décimé.

Les Australiens qui avaient pris entre temps un avantage stratégique en prenant la crête de la colline, se préparent à lancer une nouvelle offensive. Le général Von Sanders confie à Mustafa Kemal le commandement du seul corps d’armée présent sur la presqu’île. Dès l’aube, les deux attaques se déclenchent simultanément. Après une terrible bataille, les Turcs en ressortent vainqueurs, empêchant la progression des australiens. Avec cette victoire, Mustafa Kemal se dirige au sud pour prendre le commandement de la bataille de Chonuk-Baïr.

Le combat éclate en pleine nuit. Après une longue bataille les Ottomans balayent les deux bataillons britanniques et rejettent les troupes néo-zélandaises à la mer. Les Britanniques renouvellent leur offensive par deux fois, le 21 et le 22 août, mais ils sont repoussés. Après ce succès, Mustafa Kemal est promu au rang de Pacha - général - et il commande l’ensemble du front d’Anafarta. Durant la bataille des Dardanelles, l’Empire Ottoman, au prix de 253 000 victimes, est parvenu à protéger les Détroits, passage éminemment stratégique. Pendant la bataille, Mustafa Kemal déclare à ses hommes : « Je ne vous ordonne pas de combattre, mais de mourir. »

Autres batailles et activités politiques

Suite à son action dans la bataille des Dardanelles, Mustafa Kemal est considéré comme un héros dans tout l’Empire. Les journaux le qualifient de « sauveur des Dardanelles et de la capitale ». De retour à Istanbul, il se voit toutefois refuser le portefeuille de ministre de la défense par Talat Pacha devenu Grand Vizir à cause de ses critiques virulentes dans les choix militaires de ce dernier.

En 1916, il se voit confier le commandement du 16e corps d’armées au Caucase puis celui de la 2e armée à Diyarbakır où, avec l’aide du général Kazım Karabekir et de son chef d’état-major, le colonel İsmet İnönü, il entreprend de reconstituer complètement les troupes mises à mal avec pour objectif de résister aux forces tsaristes. La révolution bolchevique de 1917 désorganise l’armée du Tsar et Kemal lance une offensive contre les provinces chrétiennes : il reprend Muş et Bitlis. Il se prépare à marcher sur Batoumi, lorsqu’il est rappelé en Syrie où les Britanniques soutiennent les indépendantistes arabes. Il est intégré sous les ordres du général allemand Erich von Falkenhayn où il se voit confier le commandement de la 7e armée de « l’Asia Korps ». Il est rapidement démis de ses fonctions pour causes médicales (paludisme).

Il passe sa convalescence à Istanbul, où il reçoit les officiers opposés à la présence allemande dans le pays. Il est envoyé en 1918 en Allemagne avec l’héritier de la couronne, le prince Vahidettin dans le but de le réconcilier avec le modèle allemand. Il va au contraire tenter de convaincre le futur sultan de se désolidariser de l’Allemagne qu’il estime en train de perdre la guerre. Il l’incite également à limoger son grand vizir.

De nouveau malade et convalescent, Kemal apprend la mort de Mehmed V. Il décide d’aller à Istanbul pour rencontrer le nouveau sultan et le convaincre de ses vues. Toutefois Mehmed VI, conseillé par son beau frère Damad Ferid ne tient pas compte de l’avis de Kemal et ce dernier est renvoyé en Syrie.

Sur le front syro-palestinien

Arrivé en Syrie le 20 août 1918, il prend pour la deuxième fois le commandement de la 7e armée, composée de deux corps commandés par le colonel Ismet et le colonel Ali Fuad.

L’état des troupes ottomanes est déplorable, beaucoup de régiments ne se composant plus que dix pour cent de leurs effectifs habituels. Les hommes, privés de nourriture et d’eau meurent quotidiennement. Leur moral est au plus bas et il faut user de violence pour les maintenir dans les rangs. Des patrouilles en camion, armées de mitrailleuses, sillonnent les arrières avec l’ordre d’abattre toute personne désertant les rangs, ce qui n’empêche pas les désertions. Pour défendre leurs bases, les Turcs ne disposent que de huit avions et de deux batteries de DCA tandis que les Britanniques, alliés avec les Arabes de l’émir Fayçal, parviennent à masser des effectifs très supérieurs en nombre.

Les efforts de réorganisation de Kemal sont stoppés par une crise de colique néphrétique qui le contraint à rester alité dans son quartier général de Naplouse.

Les Britanniques attaquent le 19 septembre. Les armées turques sont vite balayées et elles sont obligées de fuir devant l’avancée des troupes britannico-arabes. La retraite tourne à la débâcle.

Kemal parvient à conserver autour de lui un petit noyau de troupes disciplinées. Ensemble, ils se rendent à Damas, où il décide avec le général Sanders d’abandonner les régions arabes pour défendre l’Anatolie. Le 30 septembre, toutes les troupes ottomanes de Syrie se replient sur Alep.

Kemal utilise la 7e armée pour bloquer toutes les routes menant vers l’Anatolie. Les troupes en fuite se reconstituent. Le 26 octobre, deux régiments de cavalerie hindoue leur font face. Mustafa Kemal se rend aux avant-postes et commande lui-même le tir de ses hommes. Il parvient à repousser vers le sud les troupes britanniques. À ce moment, les Ottomans voient au loin les Britanniques jeter leurs casques et pousser des « hourras » de joie : le gouvernement du sultan Mehmed VI vient de signer avec les alliés le traité de Moudros. L’Empire ottoman vaincu dépose les armes le 30 octobre 1918.

La fin de l’empire

Kemal doit se rendre à Adana pour recevoir le commandement militaire de toutes les forces armées ottomanes. Espérant que le gouvernement turc dénoncera ce traité d’armistice, il essaie de gagner du temps. Il refuse d’évacuer Alexandrette. Un télégramme d’Istanbul lui intime l’ordre de collaborer avec les forces britanniques. Refusant de voir son pays occupé, il réunit des officiers, constitue des dépôts d’armes et de munitions dans les montagnes voisines et recrute des partisans.

Le 20 novembre, il est convoqué à Istanbul où il se rend compte des conséquences de l’accord d’armistice pour le pays. L’Empire ottoman est dépecé et envahi : l’Arabie, la Syrie, la Palestine, la Macédoine, la Thrace et la Mésopotamie passent sous le contrôle des alliés. Des cuirassés britanniques sont ancrés dans le Bosphore, les troupes britanniques occupent Istanbul, les Français, les Britanniques, les Italiens et les Grecs se partagent les villes turques.

Guerre contre les occupants

Début de l’occupation et organisation de la résistance

Les partis politiques sont extrêmement divisés sur l’attitude à adopter par rapport aux occupants. Certains veulent transformer l’Empire ottoman en un protectorat américain. Pour Kemal, l’occupation étrangère est vécue comme une humiliation. Il tente de convaincre les partis politiques de ne pas accorder leur confiance au Grand Vizir, Tewfik Pacha. Mais ceux-ci le soutiennent à une écrasante majorité. Kemal tente malgré tout de convaincre le sultan de résister à l’occupant, ce que ce dernier refuse. Il considère Kemal comme un homme vulgaire, dangereux et impulsif auquel il ne fait pas confiance. Le lendemain, il dissout le parlement et nomme son beau frère, Damad-Férid Pacha, Grand Vizir.

Kemal est isolé et ses appels à la résistance ne rencontrent guère d’écho. La démobilisation de l’armée met un terme à sa carrière militaire. Il se retire à Shishli, aux environs d’Istanbul en compagnie du colonel Arif.

Quelques mois plus tard, les alliés se retrouvent en difficulté face à leur opinion publique qui demande la paix et la démobilisation des troupes. Les Français, les Britanniques et les Italiens décident de démobiliser une partie de leurs troupes stationnées dans l’Empire Ottoman. En mai, les troupes grecques se déploient dans la région de Smyrne, où vit la minorité grecque d’Asie Mineure[3] ,ce qui va attiser la rancœur turque. Les appels à la lutte se font de plus en plus insistants à la suite de ce déploiement. Kemal est rappelé pour mater la rébellion.

Il embarque avec le colonel Arif et Refet sur le Bandırma en direction de Samsun, mais un rapport de police remis à Mehmed VI le dénonce comme sympathisant de la cause rebelle. Celui-ci ordonne son arrestation. Kemal débarque à Samsun le 19 mai 1919 où il est étroitement surveillé par les Britanniques. Pour échapper à cette filature, il transfère son quartier général à Kavas puis à Amasya.

Le 22 juin, Refet, Ali Fuat et Rauf Orbay prennent le parti de Kemal et décident d’unifier les organisations de résistance sous les ordres d’un état-major unique.

Kemal cesse alors toute relation avec le pouvoir impérial et constitue un nouveau pouvoir politique en Anatolie. Il s’assure le soutien des officiers initialement rétifs à sa politique. Un congrès est convoqué à Sivas pour le mois d’octobre et tout l’Empire est invité à y envoyer des délégués. Kemal y obtient le soutien des principaux chefs militaires du pays.

Fort de ce nouveau statut et secondé par les inspecteurs et commandants régionaux, il organise les mouvements populaires. Dans chaque ville et dans chaque village, les comités de résistance populaire se créent. Les officiers démobilisés sont les premiers à répondre à cet appel, entraînant avec eux un nombre croissant de volontaires.

Le sultan Mehmed VI demande des explications à Kemal sur ses activités. Kemal lui demande de se mettre à la tête du nouveau mouvement de résistance. Furieux, Le sultan le relève de ses fonctions le 8 juillet 1919 et casse son grade de général. Il signifie aux autorités militaires et civiles de ne plus obéir aux ordres de Kémal.

Kemal annonce à ses officiers cette crise ouverte entre le sultan et lui :

« Nous sommes arrivés à la croisée des chemins. Si nous poursuivons notre lutte, nous ne devrons compter dorénavant que sur nous-mêmes. Le gouvernement impérial sera contre nous. »

Il reçoit le soutien de ses compagnons, à la condition qu’il ne porte pas atteinte à l’autorité ou au prestige du sultan.

Il avance à septembre la date de la tenue du congrès de Sivas et entre-temps convoque un congrès à Erzurum du 23 juillet au 7 août 1919 au cours duquel Kemal obtient le soutien de Kazim Karabékir qui est à la tête de la 2e armée du général Békir.

Le Congrès de Sivas

La première séance plénière a lieu le 13 septembre 1919. Mustafa Kemal a une vision claire de l’avenir à donner à l’ex-empire, sur la politique à mettre en œuvre et sur l’attitude à adopter vis-à-vis du sultan. Le Congrès se prononce pour une indépendance absolue et totale du peuple turc dans un cadre restreint, plutôt qu’à une autonomie relative dans un cadre plus large.

Le sultan tente de mettre fin au congrès en ordonnant au gouverneur de la Malatya, Ali Galib, d’armer des miliciens kurdes et de les faire marcher sur Sivas. Deux régiments d’infanterie montée du général Békir défont ces milices.

Kémal étant à présent fort d’une nouvelle autorité, personne n’ose plus remettre en cause ses décisions. L’assemblée constitue rapidement un Comité exécutif dont il est nommé président. Il fait ériger ce comité en gouvernement provisoire qui obtient le droit d’agir en toute indépendance du pouvoir impérial.

Kemal provoque des élections générales dans tout le pays et demande au Congrès d’envoyer un ultimatum au Sultan, lui intimant de renvoyer le Grand Vizir, Damad Férid Pacha, coupable d’avoir provoqué la rébellion kurde. Ne recevant aucune réponse, il décide d’isoler Istanbul du reste de l’Anatolie. Il fait réquisitionner les lignes télégraphiques, saisir les impôts et le courrier officiel et remplace les fonctionnaires fidèles au sultan par des fonctionnaires acquis aux idées révolutionnaires. Ceux qui hésitent à appliquer ses directives sont menacés d’exécution.

Mehmed VI réplique en appliquant la stratégie de son oncle, Abdülhamid II. Il limoge son Grand Vizir, rouvre le parlement et convoque de nouvelles élections. Il signe par ailleurs un accord secret plaçant l’Empire ottoman tout entier sous mandat britannique et stipulant que le sultan, « met la puissance morale et spirituelle du Califat au service du Royaume-Uni dans tous les pays musulmans où s’exerce son influence. »
Dans l’attente des élections, l’assemblée transfère son siège de Sivas à Ankara le 27 septembre 1919. Mustafa Kemal se voit très vite isolé politiquement, y compris par ses proches tels que Rauf Orbay. Les députés demandent le départ des forces occupantes. La réponse britannique est cinglante : 100 000 soldats marchent sur Istanbul et arrêtent plus de cent cinquante députés qu’ils déportent à Malte et ferment le parlement. İsmet İnönü et Fevzi Çakmak parviennent à prendre la fuite et à rejoindre Kemal.

La Grande assemblée nationale de Turquie

Loin de condamner l’action britannique, Mehmed VI met au contraire la tête de Kemal à prix. Pendant ce temps, Kemal organise de nouvelles élections. Les nouveaux députés se réunissent à Ankara et le 23 avril 1920, un nouveau pas vers la création de la république turque est accompli avec la fondation de la Grande assemblée nationale de Turquie (Türkiye Büyük Millet Meclisi). Le 29 avril 1920, un Comité exécutif est élu. Ce comité déclare que le nouveau parlement est le gouvernement légal et provisoire du pays.

Mustafa Kemal est élu président de l’assemblée à l’unanimité. Il franchit une étape supplémentaire vers la fin du sultanat en déclarant sans valeur juridique les décisions du gouvernement légal d’Istanbul car occupé par les britanniques. En réponse aux nationalistes, le ministre de la guerre Soliman Chevket Pacha se voit confier par le sultan, avec le soutien des Britanniques, le commandement de l’Armée du Calife.

La guerre civile

Le sultan, relayé par les Hodja et les prêtres, exhorte les Turcs à prendre les armes contre les nationalistes de Kemal, présentés comme les ennemis de Dieu. L’inévitable guerre civile éclate dans toute sa brutalité. À Konya, les insurgés arrachent les ongles et écartèlent les envoyés de Kemal. En représailles, les notables de la ville sont pendus publiquement par les forces kemalistes.

Les nationalistes essuient plusieurs défaites, et l’armée du Sultan se rapproche d’Ankara, siège du nouveau parlement. Des désertions ont lieu chez les troupes les plus fidèles à Mustafa Kemal. Ce dernier se voit contraint de se replier.

Traité de Sèvres

À la grande stupeur des Turcs, le traité de Sèvres qui consacre le dépeçage de l’Empire est signé par Mehmed VI le 10 août 1920. En Anatolie, les territoires ethniquement arméniens avant les massacres de la guerre deviennent indépendants. Les zones partiellement grecques de la côte (Smyrne) sont rattachées à la Grèce, le Kurdistan devient autonome. Les zones ethniquement turques sont divisées en zones d’influence des puissances occidentales. L’armée est dissoute, et un système de tutelle étrangère mis en place. Pour Norbert de Bischoff, « Ainsi s’effondrait après une chute sans égale, un des plus grands empires qu’ait connus l’histoire moderne ». Le rejet est très vif dans la population turque. « Si ce document fut signé par le gouvernement ottoman d’Istanbul, la plupart des Turcs, dans la presque totalité du pays, ne reconnaissent que l’autorité du gouvernement d’Ankara dirigé par Mustafa Kemal qui, lui, refuse catégoriquement ce traité et ses clauses. »
Les Turcs prennent fait et cause pour les nationalistes. De toute l’Anatolie, hommes, femmes et enfants affluent vers Ankara. Font partie du mouvement fonctionnaires, anciens députés, généraux et officiers, ingénieurs, agents de chemin de fer, etc. Mustafa Kemal constitue aussitôt un gouvernement de salut public, et il charge des généraux d’organiser la défense nationale.

L’armée du Calife se désagrège d’elle-même en quelques jours, sauf à Ismit où elle sert de couverture à la garnison britannique.

Le spectre de la guerre civile s’éloignant avec le basculement massif en sa faveur, Mustafa Kemal s’attaque aux troupes étrangères. En septembre 1920, Kemal charge Kazım Karabekir d’attaquer et de repousser les forces arméniennes au-delà des frontières turques. S’ensuivent les reprises des villes de Sarıkamış le 20 septembre 1920, de Kars le 30 octobre 1920 et de Gumri le 7 novembre 1920. Un traité de paix avec l’Arménie est signé à Gumri.

Les Turcs sont soutenus par les soviétiques qui leur livrent des armes. Lénine et Trotski envoient le vice-commissaire Frounze pour appuyer et conseiller l’armée turque.
L’objectif suivant des troupes kémalistes est de mater les revendications autonomistes kurdes, ce qui est rapidement réglé.

En janvier 1921, les villes de Kahraman Maraş et Şanlı Urfa (1919-1921) puis de Bozanti sont reprises aux Français. Le gouvernement d’Ankara signe un traité de paix provisoire avec la France libérant la Cilicie. Par la suite, l’armée de Kemal repousse les forces italiennes, forcées de fuir le pays.

Enfin, Mustafa Kemal décide de libérer Istanbul. Après une attaque fulgurante contre les forces britanniques, le Haut-commissaire britannique prépare ses hommes à l’évacuation. Le sultan promet aux puissances signataires du traité de Sèvres d’accepter le protectorat de « celle d’entre elles qui serait disposée à lui prêter assistance ».

Comme les alliés n’ont plus les moyens d’envoyer des hommes combattre les forces de Mustafa Kemal, le politicien grec, Eleftherios Venizelos propose aux alliés de confier la prise de l’Empire ottoman à la Grèce. Son but est de reconstituer la grande Grèce.

Guerre gréco-turque

Le pacte est conclu en moins de 48 heures, et la Grèce envoie une première armée en Thrace orientale. Elle encercle et désarme la 1re armée turque commandée par le général Jaffar Tayar. Puis, cette même armée débarque à Edirne et désarme les forces turques. D’autres armées grecques interviennent également.

En 1921, les Turcs perdent du terrain et Kemal, conscient de la faiblesse des troupes irrégulières, lève au printemps une armée régulière en y intégrant les maquisards et l’armée verte de Edhem. Mais Edhem refuse catégoriquement de rejoindre l’armée régulière, et il propose au contraire ses services au Sultan. Mehmed VI refuse, et Edhem se met alors au service des Grecs, et fait envoyer à l’Assemblée d’Ankara une proclamation dans laquelle il déclare : « le pays est las de la guerre. Le seul qui la désire encore est Mustafa Kemal. Renvoyez cette brute sanguinaire et concluez immédiatement la paix. Je me fais l’interprète des vœux de la nation. »

Kemal n’a d’autre choix que de confier à İsmet İnönü la mission de combattre l’Armée verte. Les forces régulières de Refet Pacha capturent l’état major d’Edhem et désarment ses soldats à Kütahya. Edhem s’enfuit et rejoint les Grecs, avec lesquels il établit une collaboration. Le général grec Papoulas décide de mener son attaque au mois de janvier 1921.

Le 6 janvier, les Grecs prennent la ville d’Afyonkarahisar. İsmet İnönü lance sa 61e division et un groupe de cavalerie sur Kütahya, puis il contre-attaque victorieusement à la hauteur d’Inönü. C’est la première victoire d’İnönü (6-10 janvier 1921) et des nouvelles forces kémalistes contre les forces grecques. Cette bataille a un retentissement énorme dans tout le pays. Mustafa Kemal utilise cette victoire à son avantage en convoquant en séance plénière le parlement le 20 janvier 1921. La loi constitutionnelle affirmant « la base de l’État turc est la souveraineté du peuple. » y est votée.

Norbert de Bischoff écrit à ce sujet :

« la déclaration du 20 janvier 1921 fut le premier coup de hache porté dans l’ancienne constitution ottomane, la première fois que fut opposé à la souveraineté du Sultan-Calife le principe démocratique qui fait dériver tout le droit constitutionnel et toute la puissance politique de la souveraineté du peuple. La loi du 20 janvier 1921, ne créait pas un statut provisoire, un statut de fortune : elle posait des normes constitutionnelles permanentes, totalement différentes de celles qui avaient régi la Turquie jusqu’à ce jour. »

Dans le même temps, le gouvernement cesse de s’appeler « Gouvernement provisoire » et prend le nom de « Gouvernement de l’Assemblée nationale ».

Le 30 mars, les Grecs reprennent l’initiative et attaquent la ville d’Eskişehir avec 40 000 hommes. Les Turcs les repoussent au cours de la deuxième victoire d’İnönü (30 mars-1er avril 1921). Cette victoire est accueillie avec beaucoup d’enthousiasme à Ankara.

Tirant les conséquences des échecs militaires grecs, les alliés se déclarent officiellement neutres dans le conflit et retirent de facto leur soutien à l’offensive grecque. Les Français encouragent même les forces kémalistes à continuer la guerre, et les Italiens fournissent secrètement des armes à l’armée kémaliste. Le changement d’attitude de la France et de l’Italie est surtout motivé par le souci d’éviter que la Grande-Bretagne ne devienne la seule maîtresse de la Méditerranée orientale à travers la Grèce. Surtout, l’Italie fut opposée à l’invasion de l’Anatolie occidentale par la Grèce dès le début.

L’armée turque reste cependant inférieure en nombre et équipement à l’armée grecque. Face à l’offensive grecque du 7 juillet, Kemal se voit contraint de se replier à Sakarya. Le parlement évoque le remplacement de Kemal par un général moins autoritaire. Ce dernier monte à la tribune de l’assemblée le 5 août 1921 pour y demander les pleins pouvoirs :

« Une fois de plus la Turquie est en danger de mort ! Une fois de plus, l’heure n’est pas aux discours, mais aux actes ! J’exige d’être nommé commandant en chef, avec des pouvoirs dictatoriaux ! »

Mais les députés ne sont pas favorables à cette proposition. Un député lui demande si il ne serait pas préférable qu’il abandonne ses fonctions civiles pour se consacrer entièrement à ses fonctions militaires. Mustafa Kemal lui répond :

« Je vous répète que la Turquie est en danger de mort, et c’est tout ce que vous trouvez à répondre ? Pour pouvoir la sauver, il faut que j’exerce un contrôle absolu sur les affaires civiles, comme sur les affaires militaires, et que je ne sois pas constamment obligé de vous rendre compte de mes actes. Je n’ai pas dit : "Je vous demande les pleins pouvoirs." Je vous ai dit : "Je les exige !" Si vous me les refusez, j’agirai en conséquence. Soyez tranquilles : la Turquie ne périra pas ! Mais si vous me mettiez dans la triste obligation de choisir entre la Turquie et vous, alors sachez que mon choix est déjà fait, et que mes soldats l’approuveront. »

L’assemblée accorde les pleins pouvoirs à Mustafa Kemal le même jour. Mais elle spécifie que ceux-ci expireront à la signature du traité de paix. Il quitte alors Ankara pour le front.

Le 14 août 1921, une bataille terrible s’engage entre les forces grecques et turques. Mustafa Kemal a établi son quartier général à Ala-Geuz, un peu à l’arrière des lignes turques. Le 13 septembre 1921, après une longue bataille, les Turcs sont victorieux et obligent les Grecs à se replier vers l’ouest. Pendant leur fuite, ils adoptent la politique de la terre brûlée. Les villages sont incendiés et les récoltes saccagées.

De retour à Ankara, Kemal est accueilli en triomphateur. Le 19 septembre 1921, l’Assemblée nationale accorde à Mustafa Kemal le titre de maréchal et de Gazi (héros vétéran).

La victoire de Sakarya est saluée par les chefs d’État de la Russie, de l’Iran, de l’Afghanistan, des Indes, des États-Unis et d’Italie. Le gouvernement français est le premier à en tirer les conséquences politiques. Le 10 octobre 1921, la France envoie M. Henry Franklin-Bouillon pour la signature d’un traité avec le gouvernement d’Ankara. Ce traité (dit traité d’Ankara) a une importance capitale, car non seulement c’est la première fois qu’une puissance occidentale traite directement avec le gouvernement d’Ankara en délaissant le sultan Mehmed VI, mais aussi parce que la France se retire de la liste officielle des ennemis de la Turquie, et qu’elle considère le traité de Sèvres nul et non avenu. En outre, elle se déclare disposée à accorder au peuple turc une paix équitable et l’indépendance. Le protocole annexe du traité permet à Kemal de libérer définitivement la Cilicie et d’avoir le soutien de 80 000 soldats turcs, et l’armement nécessaire pour 40 000 autres soldats.

Mais il lui faut encore plus d’hommes pour continuer la guerre et il entreprend avec İsmet İnönü et Fevzi Çakmak la reconstitution de l’armée turque. Pour ce faire, il vide tous les arsenaux, rassemble tous les stocks, fait remettre en état tout le matériel qui peut encore servir, et achète des armes à la Bulgarie, aux États-Unis et à l’Italie, qu’il paie avec de l’argent emprunté à Moscou et l’aide financière envoyée par les musulmans de l’Inde, alors colonie britannique. Par la suite, il ordonne la mobilisation générale : tout homme âgé de plus de 18 ans doit rejoindre la nouvelle armée nationale. Il se consacre à cette tâche durant tout l’hiver 1921 jusqu’au printemps 1922, en travaillant plus de dix-huit heures par jour dans son bureau.

Durant l’été 1922, la nouvelle armée turque est prête à entrer en campagne. Le 26 août, il lance la « Grande offensive » (Büyük Taarruz) contre les forces grecques. Au bout de dix jours de combats, les 103 000 soldats turcs viennent à bout des 132 000 soldats grecs qui sont rapidement obligés de s’enfuir et de se cacher dans les montagnes avoisinantes pour échapper à la cavalerie turque. Les autres se ruent par dizaines de milliers vers Izmir pour gagner les îles d’Egée.

Le commandant en chef pénètre à Izmir (Smyrne) le 9 septembre 1922. La population turque de la ville lui fait une ovation, et le remercie de l’avoir libérée de l’occupation grecque. Mais la prise d’Izmir ne met pas fin à la guerre. Les Grecs ont en effet reformé une armée en Thrace. Kemal tente une attaque mais se voit interdire la traversée des Dardanelles par les Britanniques. Déterminé, il reçoit les officiers de deux régiments d’élite et leur demanda de faire marcher leurs soldats vers les positions britanniques et de traverser en silence les tranchées ennemies sans tirer le moindre coup de feu. Le 29 septembre 1922, les soldats reçoivent l’ordre de se mettre en route. Le plan a lieu comme prévu, et un accord est trouvé entre les deux partis au dernier moment.

Les Britanniques ne sont plus soutenus par les Français qui craignent l’éclatement d’une nouvelle guerre mondiale où la Russie serait du côté de la Turquie. La France envoie en toute hâte de nouveau Franklin-Bouillon. Celui-ci prend tous les engagements possibles vis à vis du Gazi, et lui promet même que les Grecs évacueront rapidement la Thrace. Une conférence s’ouvre le 6 octobre à la mairie de Mudanya. Quatre généraux participent à la conférence : un Britannique, un Français, un Italien et le Turc İsmet İnönü. Par cette convention, les alliés s’engagent à obliger la Grèce à se retirer de la Thrace, et promettent d’évacuer le plus rapidement possible l’Empire ottoman. Un armistice basé sur ces principes est ratifié à Mudanya le 11 octobre 1922.

Cette victoire permet à Mustafa Kemal d’engager son combat sur le terrain politique, pour l’abolition du sultanat et la proclamation de la république.

Déplacement de populations

Les populations civiles doivent payer un lourd tribut à la guerre. Tout d’abord, les populations grecque-orthodoxe et arménienne dont les dirigeants se sont rangés du côté des Grecs ont subi de lourdes pertes, tant matérielles qu’en vies humaines.

Ensuite, les accords d’armistice prévoient la cession à la Turquie de l’Anatolie, de la Thrace orientale et des îles d’Imvros et de Ténédos. Il s’en suit un échange forcé de populations entre les communautés grecques d’Asie Mineure et les communautés turques de Grèce. Les chrétiens grecs -mêmes turcophones d’Anatolie intérieure- et les musulmans crétois -même grécophones- sont contraints à l’exil. Ce sont près de 1 500 000 Grecs et 500 000 Turcs qui sont transférés entre ces territoires.

Un accord est toutefois trouvé pour les communautés turques de Thrace occidentale (Grèce) qui sont autorisées à rester sur leurs terres ancestrales en échange du même droit accordé à la communauté grecque orthodoxe de Istanbul avec la préservation de leur patriarcat.

Ces événements resteront gravés dans la mémoire collective grecque sous le nom de « catastrophe d’Asie Mineure » (Mikrasiatiki Katastrofi). Ce transfert servira aussi d’argument lors de la guerre de Palestine de 1948 pour justifier les positions israéliennes s’opposant au retour des réfugiés palestiniens et défendant un échange entre les 750 000 réfugiés arabes palestiniens de Palestine et les 800 000 réfugiés juifs du monde arabe..

Les survivants du génocide arménien voient leur espoir d’un état indépendant s’effondrer, et doivent pour la plupart partir en exil.

Mustafa Kemal, président de la république

Atatürk est élu à la présidence de l’Assemblée nationale à deux reprises, le 24 avril 1920 et le 13 août 1923. Il s’agissait alors d’une charge cumulant les fonctions de chef d’État et de gouvernement. Lorsque la République est proclamée le 29 octobre 1923, Atatürk en est élu le premier président pour quatre ans, conformément à la constitution.

La République turque se construit autour de principes inspirés de la Révolution française. L’unité de la République, la sécularisation, mais aussi l’occidentalisation et la modernisation du pays. En effet, le régime kémaliste au lendemain de la chute de l’Empire ottoman veut recréer une nouvelle identité nationale, étatiste et laïque sur le modèle rigoureusement suivi en tout point de la république française[11]. Pour ce faire, Mustafa Kemal doit abattre les dernières institutions de l’ancien Empire ottoman.

Enfin, l’unité nationale se veut structurée autour d’une unité ethno-culturelle forte. Les minorités allogènes (Arméniens, Grecs et Kurdes) doivent quitter le pays ou s’assimiler.

Complot de Smyrne

À partir de 1924 et 1925, les syndicats et les partis d’opposition sont interdits. Un véritable culte de la personnalité entoure alors le Président de la République. Mustafa Kemal devient de plus en plus autoritaire. Il est de plus en plus contesté, même au sein de son propre parti, le CHP. Les principaux opposants sont Rauf Orbay, Kazım Karabekir et Ali Fuat. Ils démissionnent ensemble du CHP pour fonder leur propre parti, le Parti républicain progressiste (Terakkiperver Cumhuriyet Fırkasi). Kazım Karabekir en devient son premier président. Mais le 3 juin 1925, le parti est interdit suite à la révolte kurde menée par le Cheikh Said.[12] Après une grave crise économique qui touche la Turquie en 1925 et 1926, un complot voit le jour pour assassiner Mustafa Kemal.

Les anciennes cellules du Comité Union et Progrès sont reconstituées en secret. Les anciens amis de Kemal, Rauf, Refet, Ali Fuad, Kazım Karabekir et d’autres chefs de files de l’opposition se sont alliés pour renverser le gouvernement. Les rapports de police de l’époque indiquent que le chef du complot est Djavid Pacha, ancien ministre des finances sous le gouvernement Jeunes-Turcs.

En juillet 1926, Mustafa Kemal se rend en visite officielle à Smyrne. Deux jours avant sa visite, la police arrête trois individus suspects. Elle découvre plusieurs bombes dans leur maison. Les prévenus avouent avoir voulu assassiner Mustafa Kemal sous l’ordre de plusieurs parlementaires. Un des parlementaires, interrogé à son tour avoue que l’assassinat du Président aurait dû permettre aux quatre grands Pachas, Refet, Ali Fuad et Kazım Karabekir et Adnan, de prendre le pouvoir avec Rauf et Djavid. Mustafa Kemal les fait arrêter sur le champ et comparaître devant un tribunal d’indépendance.

Les prévenus les moins importants sont jugés et pendus le jour même. Se trouve parmi eux le colonel Arif, le confident de toujours de Mustafa Kemal. Kemal signe son arrêt de mort sans sourciller. La deuxième partie du procès a lieu à Ankara. Tous les chefs de l’opposition sont alors enfermés dans un petit box. Refet, Ali Fuad et Kiazim Kara Bekir sont condamnés à la dégradation militaire et à l’indignité nationale à vie. Ils retrouveront leur liberté quelques jours plus tard. Quant à Djavid, il est condamné à mort.

Mustafa Kemal utilise ce complot pour donner la vision d’une Turquie menacée par des ennemis de l’intérieur.

La Turquie kémaliste

Après s’être débarrassé de toute opposition, Mustafa Kemal modifie le mode de fonctionnement de l’Assemblée Nationale. Dorénavant, les députés seront choisis exclusivement parmi les membres du Parti républicain du peuple, qui devient de fait parti unique. Les membres du parti sont désignés par le président du parti qui est Mustafa Kemal, et le Président de la République est élu par les députés de l’Assemblée. Le système électoral est dès lors fermé et plus aucune opposition ne se manifeste alors au sein du parlement.

Le parlement renouvelle le mandat présidentiel de Mustafa Kémal en 1927, 1931 et 1935 qui refuse de devenir président à vie. En 1930, il déclare :

« Je ne mourrai pas en laissant l’exemple pernicieux d’un pouvoir personnel. J’aurai fondé auparavant une République libre, aussi éloignée du bolchevisme que du fascisme. »

Le verrouillage politique du pays lui permet de mener la révolution qu’il souhaite mettre en œuvre : la Révolution à toute vapeur. Il entreprend la construction de la nouvelle Turquie mais il se heurte à un problème de financement : les caisses de l’État sont vides. Il se voit conseillé de recourir au crédit étranger. Or d’après lui, « le meilleur moyen de perdre son indépendance, c’est de dépenser l’argent qu’on ne possède pas. » Il a en mémoire les effets qu’a eu la dette ottomane sur l’Empire ottoman et sur l’économie du pays, et il pense qu’en ayant recours aux capitaux étrangers, la Turquie perdrait une partie de son indépendance.

Pour financer ses projets, il décide de créer plusieurs banques, comme la Sumer Bank et la Eti Bank patronnées par la Merkez Bankasi (la banque centrale-1930). Ces banques drainent les capitaux pour mettre en œuvre des plans de développement économique.

Grâce à ces sources de financement, des milliers de kilomètres de routes sont construits ainsi que plusieurs centaines de ponts, un réseau de chemins de fer est créé, ce qui permet de désenclaver l’Anatolie pour accéder à un développement économique homogène. L’agriculture est revalorisée, les paysans disposent de plus de moyens et d’outils agricoles, leurs fermes deviennent plus spacieuses et plus propres. Et pour la première fois de leur histoire, ils peuvent épargner pour préparer l’avenir de leurs enfants.

Le gouvernement kémaliste entreprend avec l’aide de l’URSS d’importants plans d’industrialisation. Des dizaines de centrales électriques sont ainsi construites pour l’industrie naissante. Des dizaines de fabriques de sucres et de ciments sont créées. Suivies par des verreries et des fabriques de céramiques, des fonderies, des aciéries et des usines de produits chimiques.

Une opposition docile

Au début des années 1930, l’abstention augmente en Turquie. En effet, le peuple ne pouvant s’exprimer librement préfère s’abstenir. Mustafa Kemal sentant que lui, le parti et le parlement se coupent peu à peu du peuple décide de créer un parti d’opposition de toutes pièces. Ce parti doit à la fois être indépendant et docile, il doit être critique sans porter atteinte au prestige du président.

Le Parti républicain libéral est ainsi mis en place pour les élections législatives d’août 1930. C’est son ami Fethi Okyar qui devient président du parti. Il est rejoint par une douzaine d’anciens députés avec parmi eux Adnan Menderes et Makboulé Atadan, sœur de Mustafa Kemal. Ce dernier prend soin d’expliquer à Fethi ce qu’il attend de lui, en particulier sur les attaques contre son gouvernement et lui confie « Je ne veux pas mourir avant d’avoir vu, en Turquie, la disparition d’un pouvoir personnel. Je veux que la République devienne entièrement démocratique ».

Fort du soutien de Mustafa Kemal, Fethi se présente à la circonscription d’Izmir et y tient un meeting où il attaque le gouvernement. Mais des coups de pistolets ont été tirés, la panique fait un mort, la police intervient, disperse l’auditoire et arrête tous les dirigeants du nouveau parti. Mustafa Kemal doit intervenir en personne pour faire libérer Fethi et les opposants et il donne l’ordre à la police de désormais protéger les meetings.

Quelques jours plus tard, Fethi monte à la tribune de l’Assemblée nationale et critique la politique économique d’Ismet Inonu. Mais une bagarre éclate rapidement au sein de l’Assemblée entre députés des deux partis, Mustafa Kemal est contraint de faire évacuer la salle. Dans son œuvre de « démocratisation » de la Turquie, il décide de supprimer la censure dont a été victime la presse.

Une véritable opposition

La liberté d’expression va permettre aux journalistes de critiquer fortement Kemal et sa politique à travers des articles ou des caricatures. Des monarchistes, des anciens d’Union et Progrès et des communistes se regroupent autour de Fethi pour critiquer le gouvernement. Dans le même temps, une grève menée par des communistes touche Izmir et des émeutes éclatent dans le Kurdistan. Mustafa Kemal décide de dissoudre le parti le 17 novembre 1930 suite aux évènements d’Izmir.

La révolte de Menemen éclate non loin d’Izmir en décembre 1930. Elle est menée par un imam qui affirme être un prophète envoyé par Dieu, et qui lance des critiques acerbes contre le gouvernement. Il appelle les Turcs à se révolter contre le gouvernement kémaliste. Lors d’un de ses meetings, la police intervient pour disperser la foule, mais les militants se jettent à l’attaque des policiers. Devant cette résistance inattendue, le gouvernement décide alors d’envoyer un corps d’armée, mais celui-ci refuse de combattre. La sédition gagne rapidement d’autres villes turques, comme Konya, et Bursa.

Devant la rébellion, Mustafa Kemal décide de revenir à l’ancien système, il proclame l’état de siège, supprime la liberté de la presse et fait intervenir l’armée dans les régions qui se sont révoltées. Les troupes du Cheikh Mehmed se font rapidement juger et emprisonner. L’ordre revient rapidement, mais Kémal est déçu par la tournure qu’ont pris les événements. Il souhaitait créer une « opposition constructive », qui démocratiserait la Turquie, mais c’est finalement le contraire qui s’est produit.

Fin provisoire du multipartisme

Au printemps 1932, Mustafa Kemal déclare :

« Que le peuple ne s’occupe pas de politique pour le moment. Qu’il se consacre à l’agriculture, au commerce et à l’industrie. Il faut que je gouverne ce pays pendant dix ou quinze ans encore. Après cela, nous verrons s’il est capable de se diriger lui-même... »

Pour les élections de 1932, il décide de revenir au système électoral précédent, seul le Parti Républicain du Peuple a le droit de présenter des candidats. Mais il tente de rajeunir le parti, et d’y faire adhérer des hommes et des femmes d’origines modestes, des paysans en particulier. Pour avoir une petite opposition au sein du parlement, il désigne douze députés indépendants qui ont pour mission de critiquer l’action gouvernementale.

Kemal se rend compte que les réformes mises en œuvre par son gouvernement ne sont pas populaires. Le régime décide donc de se projeter dans un autre cadre, passant du cadre réformiste à un cadre révolutionnaire. Pour ce faire, plusieurs délégations sont envoyées en Italie fasciste et en URSS, afin d’étudier les ressorts de ces deux révolutions.

Sous cette double influence, le régime kémaliste s’oriente vers une politique de mobilisation des masses à parti unique, en créant des Maison du peuple qui ont pour mission de répandre la “bonne parole” du parti. La jeunesse turque est transformée en fer de lance de la révolution kémaliste à travers des associations de jeunesse officielles. Cependant le régime Kémaliste ne se transformera jamais vraiment en régime fasciste, et encore moins en régime communiste. Le modèle reste celui d’une modernisation autoritaire du pays, sans référence idéologique unique.

Sur le plan international, la Turquie se rapproche de l’Iran du chah Reza Pahlavi et de l’Afghanistan qui voyaient avec admiration les réformes menées par Atatürk. Reza Pahlavi va tenter de mener une révolution comparable à la révolution kémaliste dans son pays.

Par ailleurs, Atatürk s’appuie contre l’Union Soviétique sur la politique semi-libérale menée par Celal Bayar et son conseiller Hirsch. Contre le nazisme, il se réconcilie avec la Grèce de Venizélos - qui proposera Atatürk à l’élection du prix Nobel de la paix à la fin des années 1930 - et de la France. Il se rapproche également de la Yougoslavie et de la Roumanie pour verrouiller les Balkans à l’influence de l’Allemagne nazie. Pour "irriter" encore un peu plus les nazis, il nomme un juif dönmeh à la tête du ministère des Affaires étrangères.

Quand un grand journaliste autrichien, Emil Ludwig lui rapporte en 1935 que Mussolini a beaucoup de sympathie pour lui, Atatürk se met en colère et traite le chef d’État italien de « hyène » à cause de la guerre d’Éthiopie.

« Vous osez me comparer à cette hyène ! Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous dites ! Jamais je n’accepterai que l’on me compare à cet homme qui écrase l’Éthiopie sous les bombes. »

Mustafa Kemal prononce à l’époque plusieurs discours qui resteront célèbres : celui relatant la Guerre d’indépendance et la fondation de la République (nutuk) les 15 et 20 novembre 1927 ainsi que son discours de la 10e année le 29 octobre 1933.

Face aux émeutes dans certaines villes de la Thrace comme Edirne, Tekirdag, Kırklareli et Çanakkale visant la communauté juive, Mustafa Kemal intervient énergiquement et ordonne que l’ordre soit rétabli rapidement. Voyant dans ces émeutes anti-juifs l’influence directe des agents secrets allemands, il fait savoir que l’antisémitisme ne sera jamais toléré en Turquie. D’ailleurs c’est lui qui a ouvert la porte en 1933 à 150 universitaires allemands d’origine juive, qui avaient perdu leurs postes en Allemagne, en leur proposant de s’installer et de travailler en Turquie. Ces universitaires ont largement contribué à la réforme universitaire de 1933 qui a permis la création de l’université d’Istanbul.

Conformément à la loi sur les noms de famille, le parlement donne le 24 novembre 1934 à Mustafa Kemal le patronyme de Kâmal (ce qui veut dire, forteresse) Atatürk, qui signifie non pas « père des Turcs » mais plutôt « Turc ancêtre », « Turc père » ; il abandonne alors le prénom Mustafa pour se nommer Kemal Atatürk. Le peuple turc suivra le mouvement en prenant lui aussi des noms de familles. Dans la foulée, le gouvernement renomme les principales villes turques, Angora devient Ankara, Smyrne devient Izmir, etc.

Problèmes de santé

Atatürk ne s’est jamais beaucoup soucié de sa santé. Il ne prend pas au sérieux les recommandations de ses médecins lui conseillant de prendre du repos. Ainsi après la bataille des Dardanelles il est contraint de passer une partie de l’année 1918 dans un hôpital de Vienne pour suivre une cure suite à des problèmes rénaux. En 1927 il est victime de plusieurs spasmes coronariens. Plus tard ses problèmes rénaux le rattrapent, et il décide pourtant de continuer à travailler pendant sa cure, ce que les médecins lui ont déconseillé de faire.

Il entreprend des voyages dans des pays lointains alors même que ses proches lui demandent de rester pour ne pas détériorer sa santé. Suite à un important voyage à Adana son état de santé se détériore. Le 6 septembre 1938 il rédige son testament où il affirme :

« Je ne laisse, en tant qu’héritage spirituel, aucun verset, aucun dogme, aucune règle pétrifiée et figée. Mon héritage spirituel, c’est la science et la raison (...). Tout dans ce monde évolue rapidement. La conception du bonheur et du malheur se modifie, au fil du temps, chez les peuples et les individus. Affirmer, dans ce contexte, que l’on a su inventer des recettes éternellement valables équivaudrait à renier l’incessante évolution des idées et de la science. (...) Nul n’ignore ce que j’ai essayé de faire, ce que je me suis efforcé de réussir pour le bien de la nation turque. Ceux qui, après moi, voudront avancer dans mon sillage, sans jamais s’éloigner de la raison et de la science, deviendront mes héritiers spirituels. »

Il meurt d’une cirrhose le 10 novembre 1938 à 9h05, dans le palais de Dolmabahçe à İstanbul. Ses derniers mots sont Au revoir avant de plonger dans un profond coma. Il est enterré au musée ethnographique d’Ankara le 21 novembre 1938. Les chefs d’État du monde entier viennent présenter leurs hommages au cours de ses funérailles. Depuis le 10 novembre 1953, son corps repose à l’Anıtkabir, à Ankara.

La république turque

Pour commencer, Mustafa Kemal fait voter à l’Assemblée nationale l’abolition de la monarchie et fait expulser le dernier sultan ottoman Mehmet VI le 1er novembre 1922. Le titre de calife est donné par l’Assemblée nationale à Abdulmedjid, l’aîné de la maison ottomane. Mais la plus importante réforme de Mustafa Kemal est l’instauration de la république turque le 29 octobre 1923, donnant à la nation turque le droit d’exercer la souveraineté populaire à travers une démocratie représentative. Pour que la nouvelle république éclose, Mustafa Kemal abolit le califat, qui est détenu par les sultans ottomans depuis l’incorporation de l’Égypte à l’Empire ottoman en 1517, le 3 mars 1924. Cette même date, les membres de la maison ottomane sont déchus de la nationalité turque et expulsés du pays.

Mustafa Kemal considère le port du fez, que le sultan Mahmud II avait érigé en code vestimentaire de l’Empire ottoman en 1826, comme un symbole féodal et finit par l’interdire aux Turcs qui sont incités à porter des chapeaux. Il demande aux Turcs d’adopter aussi le code vestimentaire européen. Mustafa Kemal n’interdit pas le port du hijab, craignant une guerre civile [18], mais son port est fortement déconseillé. Il interdit également les musiques et les danses orientales. Et à partir de 1934, la radio n’émet plus que des rythmes occidentaux. Il favorise le développement d’une culture occidentale et investit à l’opéra, le ballet et la musique classique.

Après l’abolition du Califat, il fait venir en Turquie un collège de juristes occidentaux. Il adopte sur leurs conseils le code commercial allemand, le code pénal italien, et le code civil suisse, avec certaines modifications ou adaptations. La polygamie est interdite, les hommes et les femmes deviennent égaux en droits, et les citoyens turcs deviennent devant la loi aussi libre qu’un citoyen helvétique.

En 1926, le calendrier musulman est remplacé par le calendrier grégorien.

En 1928, le gouvernement décrète que l’alphabet arabe sera remplacé par l’alphabet latin. Le changement d’alphabet devait prendre plusieurs années selon les conseils des linguistes et universitaires, mais Mustafa Kemal décide que le changement se fera en trois mois ou ne se fera jamais. Tous les Turcs âgés de 6 ans à 40 ans doivent ainsi retourner à l’école pour apprendre le nouvel alphabet. Ce changement colossal est le symbole de la volonté de sortir de la sphère culturelle arabo-musulmane remplacée alors par la culture occidentale.

L’école primaire devient obligatoire, et de nouvelles écoles sont ouvertes dans tout le pays. L’école devient mixte, républicaine et laïque selon le modèle français de Jules Ferry. La scolarisation des filles est fixée comme une priorité nationale.

En 1934, il promulgue une loi obligeant les Turcs à se doter d’un nom de famille. La Grande assemblée nationale de Turquie lui donne à cette occasion le nom d’Atatürk ou Turc père.

Cherchant à limiter l’influence de l’islam sur les établissements politiques et culturels turcs, il décide de supprimer le Califat le 3 mars 1924, responsable à ses yeux du ralentissement du développement de la Turquie. Il adopte le système de la laïcité française ; la religion n’est pas contestée, mais elle se limite à la sphère strictement privée.

La question kurde

Suite à la laïcisation et à l’occidentalisation du pays imposée par Mustafa Kemal, la problématique des minorités religieuses et culturelles est posée, en particulier celle de la communauté kurde. Le souhait du gouvernement kémaliste est d’avoir une Turquie homogène ethniquement et religieusement. Mustafa Kemal voit l’addition de différentes nationalités en Turquie comme une faiblesse, dont pourrait se servir les européens et en particulier les Britanniques pour diviser et détruire la Turquie.

Les Kurdes sont musulmans, sans être sémites. Ce ne sont donc pas des populations arabes, c’est pourquoi la Turquie affirme que ce sont « des populations authentiquement turques ». La volonté est donc de les assimiler au groupe majoritaire.

Néanmoins, les Kurdes ont des revendications nationalistes et séparatistes, et leur langue appartient en fait au groupe des Langues indo-européennes (famille iranienne). Le problème se complexifie encore par les revendications turques sur les vilayets de Mossoul et de Kirkouk, deux régions d’Irak riches en pétrole et où vivent une majorité de Kurdes et Turkmènes.

Ces derniers se trouvent dans un état d’insurrection permanente dès 1921. Dans le cadre de l’assimilation kurde, le gouvernement de Kemal vote en 1924 une loi qui interdit l’usage du kurde dans les publications écrites et dans les écoles. Une grande révolte kurde menée par le Cheikh Saïd éclate alors. Les tribus kurdes attaquent Elazığ, Maras et Bitlis et soutiennent ouvertement l’ancien régime du Sultan (lequel avait signé le traité de Sèvres qui garantissait l’autonomie Kurde) contre la République. La révolte est soutenue par des sociétés secrètes islamiques et de grands journaux. De leur côté, pour empêcher le rattachement de Mossoul et de Kirkouk à la Turquie, le Royaume-Uni encourage les rebelles kurdes à la révolte et leur fournit armes et subsides.

Mustafa Kemal décide d’envoyer neuf divisions en Anatolie, en donnant l’ordre à ses soldats de réprimer les insurgés. Il crée des tribunaux dits d’indépendance et des cours martiales emprisonnent tous les Kurdes reconnus coupables d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État ». Quarante-six meneurs sont pendus sur la grande place de Diyarbakir. Le but du gouvernement d’Ankara est de faire d’eux des exemples et de dissuader les Kurdes à la révolte. Il décide par la même occasion de supprimer les turbés et les dervicheries, les sectes religieuses, les couvents et les confraternités qu’il accuse de soutien envers les nationalistes kurdes. La révolte est matée mais la Turquie finit par reconnaître l’autorité de l’Irak sur Mossoul en juin 1926.

En 1930 la révolte éclate à nouveau et l’armée Turque mobilise près de 70 000 hommes et 100 avions pour mater la rébellion[21]. En 1932, la loi martiale est décrétée sur le territoire kurde, la déportation et la dispersion d’une partie de sa population en Anatolie orientale est organisée. Le 14 juin 1934 une loi connue en tant que « Loi n°2510 » promulgue entre autres des déplacements de populations en vue de l’assimilation de la population kurde.. La population kurde s’y oppose et d’autres révoltes éclateront en 1937-1938 qui s’étendront au Kurdistan irakien.

Lors d’un discours tenu le 1er novembre 1936, Mustafa Kemal reconnaît que le problème kurde est un des plus graves problèmes intérieurs de la Turquie

Vie privée

Mustafa Kemal connait le français, l’anglais et l’allemand et est passionné par la Révolution française et les idées des Lumières. C’est en partie sur ces principes que s’est construite la République turque.

Au cours de sa jeunesse, Kemal a un mode de vie très libre. Durant ses permissions, il lui arrive de se rendre dans les quartiers européens réputés pour leurs salles de spectacles, leurs bars et leurs maisons closes. À la fin de ses études militaires, il passe sa vie au front, il partage alors sa vie entre des maîtresses turques ou étrangères. Il rencontre une jeune Bulgare, Dimitrina, avec qui il envisage de se marier. Son père étant le ministre d’un pays potentiellement ennemi, il préfère stopper la relation.

Pendant la guerre de libération, il fréquente Fikriye, une lointaine cousine qui se suicide quelques années plus tard en apprenant le mariage de Kemal avec Latifé.

Le 29 janvier 1923, il épouse Latifé Uşaklıgil qui l’accompagne dans ses tournées dans le pays. Ce mariage dure jusqu’au 5 août 1925.

Il épouse alors un idéal, il voit en sa femme Latifé le modèle de la femme turque. Il adopte sept filles, toutes adultes, l’historienne Afet İnan, la première pilote de guerre femme au monde Sabiha Gökçen, Ülkü Adatepe, Nebile, Rukiye, et Zehra. Pour l’historien français Alexandre Jevakhoff, ce choix s’inscrivait dans une sorte de marketing politique, ses filles qui occupaient des postes prestigieux devaient donner au monde une vision moderne et émancipée de la femme turque, et devaient par ailleurs encourager les femmes turques à suivre cette voie. Il adopte également un jeune garçon, Mustafa et il prend sous sa protection deux garçons, Abdurrahim et İhsan.

Héritage

Plus que Mustafa Kemal lui-même, c’est son successeur İsmet İnönü, qui a fortement encouragé un culte de la personnalité post mortem, un culte qui a survécu jusqu’à ce jour : le portrait d’Atatürk est partout, dans tous les bureaux de l’administration publique, les classes, sur tous les billets de banques et dans les maisons de beaucoup de familles turques qui le considèrent comme un héros national.

Beaucoup de lieux portent son nom comme l’aéroport international d’Istanbul ou le Stade Olympique Atatürk dans cette même ville.

Une ou plusieurs statues d’Atatürk se trouvent dans la plupart des villes de Turquie. La première statue érigée à son nom date de 1926 et se trouve à Sarayburnu dans la ville d’Istanbul. Chaque cour d’école en Turquie possède un buste d’Ataturk.

Et, cas unique au monde, tous les ans au moment exact de son décès, c’est-à-dire le 10 novembre à 9h05, les sirènes retentissent à travers tout le pays, deux minutes de silence sont observées, la diffusion audiovisiuelle est interrompue pendant ces deux minutes. Les drapeaux sont mis en berne pour cette journée. Auparavant, la manifestation du deuil était plus marquée, les journaux avaient des titres noires, les cinémas, les restaurants restaient fermés ce jour-là. Ces pratiques ont été abandonné en 1989, pour mettre l’accent sur la commémoration plutôt que le deuil.

L’immense majorité des partis politiques se réclament de l’héritage kémaliste, cependant les poussées extrémistes sont rapidement tentées de contester le mythe fondateur : en ce sens celui-ci constitue un rempart historique qui s’est avéré efficace contre les dérives extrémistes.

« Objet d’un culte de la personnalité certainement unique dans une démocratie, Atatürk a mis en place un système moderne pour les années 1930, mais qui s’est complètement figé par la suite en mémoire du « chef éternel ». [...] Parallèlement, l’État kémaliste a mené un pays musulman de 70 millions d’habitants vers la démocratie et la stabilité, ce qui est rare dans cette région du monde ; il a également lutté avec succès pour la laïcité et contre le développement trop important des mouvements islamistes. »

Pour Alexandre Adler, Atatürk n’avait qu’un seul but :

« L’élévation du pays vers la démocratie et la prospérité européennes, où la culture française et la précision allemande allaient jouer le même rôle que naguère la profondeur métaphysique et la splendeur imagière de l’Iran. »

Le parcours de Kemal a ceci de singulier qu’il s’appuie largement sur l’armée comme instrument au service d’objectifs supérieurs : laïcité, démocratie, stabilité politique, place de la femme dans la société... Son exemple va profondément influencer la culture de l’armée turque qui interviendra à plusieurs reprises lors des périodes d’instabilités politiques pour finalement restituer le pouvoir aux institutions une fois la crise passée, alors qu’en d’autres circonstances des dictateurs se seraient installés.

Dans le monde, Atatürk a influencé de nombreux chef d’État et des leaders nationalistes.

Au Maroc la révolution indépendantiste d’Abdelkrim (première guerre de décolonisation du XXe siècle) s’étaient déroulée dans la même période que la révolution kémaliste. Abdelkrim suivait donc avec intérêt les évolutions en Turquie et s’est inspiré de certaines idées kémalistes pour diriger l’éphémère République du Rif (1920-1926). Plus tard les nationalistes de gauche tel Abderrahim Bouabid et Mehdi Ben Barka et le parti de l’indépendance et de la démocratie de Mohamed Hassan El Ouazzani prendrons le kémalisme comme exemple pour établir un projet de société pour le Maroc.
Le président tunisien Bourguiba ne cachait pas son admiration pour le kémalisme et les réformes qu’il a mises en place en Tunisie sont comparables aux réformes kémalistes.
Le Shah d’Iran, Reza Pahlavi, et le chef d’État afghan, Mohammed Zaher Chah, se sont directement inspirés du Kémalisme pour mener des réformes dans leur pays.

Mustafa Kemal a aussi eu de l’influence sur des chefs nationalistes, comme sur le nationaliste algérien Messali Hadj qui disait :

« Les premières prouesses militaires de Mustapha Kemal Pacha eurent sur le monde islamique une grande résonance, un profond réconfort et un immense encouragement. »

Le combattant du FLN Ferhat Abbas s’est également inspiré de l’œuvre de Mustafa Kemal pour rédiger le manifeste du 12 février 1943. Il avait d’ailleurs pris pour pseudonyme le nom de Kemal Abencérage.

Il a servi de modèle également à Husni al-Zaim en Syrie[28].

L’indépendantiste indien Jawaharlal Nehru admirait également Mustafa Kemal :

« Kemal Atatürk était mon héros dans ma jeunesse. À l’époque, nous nous occupions de notre propre mouvement d’indépendance. (...) Je n’oublierai jamais le moment de joie et la manière de laquelle nous avons célébré en prison la grande victoire qu’il avait remportée. (...) Il est l’un des grands constructeurs de l’époque moderne en Orient. Je continue d’être un de ses grands admirateurs. »

Mustafa Kemal a de manière générale encouragé les peuples du tiers-monde à prendre leur indépendance et à se prendre en main.


sources wikipedia

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