dimanche 11 août 2019, par
Dans un pays à la recherche d’une identité littéraire, les auteurs russes importent la culture occidentale dans leurs écrits. Des écrivains classiques émergent alors et manient des mots dans une langue en phase de construction.
Je veux oublier ma belle :
Macha, je dois t’éviter.
A l’amour je suis rebelle,
Préférant ma liberté.
(…)
Connaissant mon infortune,
De moi, Macha, prends pitié,
Oui, ma peine est peu commune,
Car je suis ton prisonnier. [1]
Auteur d’odes solennelles, Gavril Derjavine incarne la figure du classicisme à la fin du XVIIIe siècle. Il tend toutefois vers une écriture plus sentimentale, que l’on aimer qualifier de préromantique, à la fin de sa carrière littéraire. Cet élan axé sur l’exaltation des sentiments entraîne bientôt des auteurs dits sentimentalistes dont Nikolaï Karamzine est reconnu comme l’instigateur. Favorable à la réforme de la langue, Karamzine affirme son détachement des codes classiques dans la littérature russe. Le mouvement sentimentaliste entraîne rapidement un courant bien connu en Europe et qui connaît son âge d’or entre les années 1810 et 1840 : il s’agit du romantisme. Ce courant né en Angleterre connaît son apogée en Russie avec le poète et prosateur Alexandre Pouchkine, qui affirme fièrement sa liberté d’écrivain. Il fusionne ainsi fiction et Histoire, aborde des thèmes tels que le pouvoir et la liberté malgré une censure constante, et devient insensiblement le créateur de la prose moderne.
Mais si Pouchkine connut le succès et la notoriété par ses œuvres romantiques, il dépassa également ce courant littéraire pour se tourner progressivement vers des écrits plus réalistes.
Une bonne fée, dans nos contes, apparaît parfois sous l’aspect d’un brochet qui choisit pour le choyer un homme doux et inoffensif, en d’autres mots un paresseux persécuté par tout le monde, le comble de bienfaits sans aucune raison.
[2]
L’école naturelle marque la première grande période de prose en Russie, mue par des auteurs véritablement engagés tels que Tourgueniev, Nekrassov et l’illustre Dostoïevski. Survenu dans les années 1840, ce mouvement militant prend le dessus sur la littérature romantique et se fixe l’objectif de « montrer la réalité telle qu’elle est ». De même que pour Stendhal en France, le roman est un miroir qui (sous influence réaliste) reflète plutôt les travers du monde que son côté idéalisé. Nicolaï Gogol, en l’occurrence, commence à raconter la vie a priori inintéressante des fonctionnaires dans sa nouvelle fantastique Le Manteau (1843), tandis que Gontcharov entreprend de narrer l’évolution de la Russie et met notamment en scène un personnage resté fameux par son décalage, ou plutôt son inadaptation en tant que dernier romantique dans une société qui ne l’est plus : il s’agit d’Oblomov. Le roman éponyme, paru en 1859, est la parfaite représentation du concept des hommes de trop, survenu entre les années 1855 et 1865. Ainsi étaient surnommés ceux qui philosophaient et rêvaient plutôt que de se rendre utiles en travaillant concrètement.
On ne peut pas vivre ainsi. Voilà pourquoi il faut raisonner sérieusement et voir les choses sous leur vrai jour, au lieu de pleurer comme une enfant et de crier que Dieu ne le permettra pas. Qu’arrivera-t-il, je te le demande, si demain on te porte à l’hôpital ? L’autre est folle et phtisique, elle mourra bientôt ; et les enfants ? Poletchka ne sera-t-elle pas perdue ? N’as-tu pas vu par ici des enfants que leurs mères envoient mendier ? J’ai appris où vivent ces mères et comment ! Dans ces endroits-là, les enfants ne sont point pareils aux autres. Un gamin de sept ans y est vicieux et voleur. Et cependant les enfants sont l’image du Sauveur. [3]
C’est dans un conflit de génération exacerbé que Tourgueniev, entre autres, insère la langue des paysans dans ses œuvres, et brise les frontières qui séparent les classes sociales. La nouvelle génération s’unit pour protester contre les idées arrêtées et désuètes de leurs pères. Les écrivains relatent les affrontements, notamment dans le roman Père et fils d’Ivan Tourgueniev paru en 1862. Mais l’âge d’or de la littérature russe est mené principalement par deux auteurs qui feront raisonner leurs noms au-delà des frontières du pays : les écrits empreints de réalisme de Tolstoï et Dostoïevski connaissent un réel succès dans une Russie en mouvement. Tolstoï exprime le commun entre les hommes dans une dimension universelle, il relate en particulier la crise existentielle et la perspective nouvelle de la mort comme passage. Dostoïevski, le « fruit » de l’école naturelle, met en avant la misère du monde à travers des figures relativement victimes de la société telles que la prostituée qui se vend pour sa famille et l’assassin qui tue pour la sauver.
La renommée mondiale de ces deux auteurs vaut à la Russie la reconnaissance d’une littérature qui lui est propre.
Ce secret n’a d’importance que pour moi seul, et mes paroles ne sauraient l’expliquer. Ce sentiment nouveau ne m’a ni changé, ni ébloui, ni rendu heureux comme je le pensais ; de même que pour l’amour paternel il n’y a eu ni surprise ni ravissement ; mais ce sentiment s’est glissé dans mon âme par la souffrance, désormais il s’y est fermement implanté, et quelque nom que je cherche à lui donner, c’est la foi.
[4]
SOURCES : Histoire de la littérature russe, tome 1 : le XIXe siècle, l’époque de Pouchkine et de Gogol, (ouvrage collectif) Paris, Fayard, 1996.
Histoire de la littérature russe, tome 2 : le XIXe siècle, 2e partie, Le temps du roman, (ouvrage collectif) Paris, Fayard, 2005.
NIVAT, Georges, Les trois âges russes, Paris, Fayard, 2015
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