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L’épopée Marchand (Fachoda)

, par

Marchand

Enfant encore, il est admis comme petit clerc chez maître Blondel, notaire à Thoissey. Qui aurait pu alors prédire son destin d’épopée ? Et pourtant le notaire, brave homme, conseille à Marchand de s’engager.

A-t-il surpris chez son jeune clerc un de « ses regards anxieux de lionceau en cage ? », écrit M. Delebecque. Les yeux de Marchand sont noirs, ils reflètent une vie intérieure profonde. Ses heures de rêverie l’entraînent bien loin du notariat et ces rêveries ce sont des rêveries d’action, d’idéal ; sans doute déjà des rêveries d’épopée. Mais combien de jeunes gens qui rêvèrent d’épopée ne quittèrent jamais les chemins battus, la tiédeur des cham­bres et la morne répétition des heures de bureau ...
Acceptera-t-il lui, l’esclavage des registres, le calme amollissant de courtes prome­nades dans la région des Dombes, l’abandon de ses rêves d’épopée ? Non ! Nous savons par ses notes intimes qu’entre quatorze et dix-sept ans il eut plusieurs fois l’apparition subite d’un paysage remarquable par l’intensité des bleus et des verts dans un foisonnement de feuillage. Cette apparition lui faisait perdre la notion du lieu où il se trouvait et des êtres qui l’entou­raient, elle lui semblait un pressentiment.

Marchand

Par son engagement, puis l’Ecole militaire de Saint-Maixent, il accède rapidement à l’épau­lette. Le contact avec l’armée a été dur, mais l’adolescent n’a rien perdu de son mysticisme et de son idéal en face des difficultés. Sa volonté est devenue farouche. L’homme s’est affermi dans l’épreuve. Les yeux noirs en une seconde s’enflamment d’enthousiasme ou s’assombrissent de colère. En débarquant au Sénégal, Marchand espère­t-il découvrir ce paysage aux tons violents « bleus et verts » ? Déception ! La côte est plate, nue, desséchée. Dès son débarquement, à vingt-quatre heures d’intervalle, son capitaine et son lieutenant meurent. Voici une ennemie nouvelle : la mort ... compagne bien fréquente sur les chemins d’épopée. Il la méprise, et à sa demande, gagne l’avant.

L’épopée Marchand

En 1889, il reçoit le baptême du feu à la prise de Koundian ; blessé il écrit : « Mon devoir est de rester. Je reste. J’ai foi en mon étoile ... ». Les années passent, le chef s’affirme. Archinard, déjà, écrit de lui : « Avec des hommes comme Marchand, on peut tout oser. Son séjour en Côte-d’Ivoire, 1893-1895, achève d’en faire un Africain complet ».

En 1897, l’heure est venue pour Marchand d’entrer dans l’épopée. Ses compagnons suivent dans la lueur du flambeau. L’Histoire a gardé leurs noms : Bara­tier, Germain, Largeau, Mangin, l’enseigne de vaisseau Dyé, le D` Emily, l’interprète Lande­roin, les sous-officiers Dat, Bernard, Vernail et Moriba ... Nous ne pouvons séparer ces hommes de leur chef. Marchand ne l’aurait pas voulu. A cet égard rien de plus saisissant que cette lettre : « Vous parlez de ma mission, mais mon cher Mangin, ce n’est pas, ce n’a jamais été ma mission. C’est notre mission à tous, à chacun de nous par égales parts. Si c’était ma mission à moi, votre part à chacun dans la réussite commune ne serait pas ce qu’elle doit être. Vous seriez volé. Ne parlez donc plus de ma mission. Vous me feriez de la peine. » Et Germain, un jour écrira à Marchand : « Nous sommes partie de toi-même pour l’accomplisse­ment de la grande tâche que ton opiniâtreté de missionnaire a fini par arracher à nos gouver­nants. » Ces lettres affirment combien par sa valeur d’âme, joint à sa valeur militaire, Marchand mérite le droit au flambeau.

Marchand débarqué à Loango en juillét 1896, reçoit de Brazza les pleins pouvoirs. Il gagne Bangui en avril 1897, Mangin le précède à Bangassou et Germain à Rafai sur la rivière M’ Boumou. C’est alors qu’à la demande de Liotard il prend la décision capitale de l’Histoire de la mission en choisissant la voie fluviale de Tamboura pour atteindre le Nil. Ainsi il renonce à la voie terrestre de Dem Zider. « C’était là, » écrit Marchand, « le renversement de tous mes plans depuis 1895 ». Un problème redoutable se trouve par suite posé ... La mission ne va-t­elle pas se trouver arrêtée à la Mechra ou confluent du Soueh et du Bahr-el-Ghazal « dans un cul-de-sac infranchissable ». Un vapeur sem­ble nécessaire. Marchand n’en possède pas. Des baleinières lui sont annoncées mais parvien­dront-elles jamais ? Sans bateau c’est l’immobili­sation à la Mechra et l’échec certain. Marchand décide de s’emparer du Faidherbe, unique vapeur disponible de la colonie ... « Ce vapeur, dit alors Marchand, sera précieux pour la traver­sée du Soueh et doit nous donner sur le Nil un prestige indiscutable. » Mais le Faidherbe se trouve dans le bassin du Congo ... Comment pourrait-on le faire passer dans celui du Nil ... ?

« Il faut ! » Leclerc plus tard, parlera ainsi ... Puisque le Faidherbe ne peut naviguer au­delà de la Mobaye on le démontera. Mais « réglementairement », le Faidherbe n’est pas démontable. Qu’importe ! On le démontera quand même pour le remonter ensuite ! Mais les tôles sont rivées. Qu’importe ? On coupera les rivets !

Débité en morceaux, le Faidherbe est d’abord transporté en pirogue jusqu’au point extrême où le M’ Boumou cesse d’être navigable. Alors on abandonne l’eau et on construit une piste de 160 kilomètres pour atteindre le Soueh. La chaudière a été partagée en deux blocs d’une tonne chacun. On la traîne. On la fait rouler sur des billes de bois. Quant à la coque, on la fera d’abord avancer à la perche comme un chaland puis on la portera sur un chariot spécialement fabriqué. Ceux qui doutaient au départ et à voix basse prononçaient le mot de folie sont maintenant des passionnés. L’épopée est en marche. Chaque jour s’engâge une lutte contre l’impossible.

Le 5 janvier 1897, sur une baleinière de 9 tonnes, le capitaine Baratier et l’interprète Landeroin s’étaient enfoncés dans le Soueh avec 25 tirailleurs et 10 Yokomas « anthropophages, mais bons pagayeurs ». Ils devaient reconnaître le passage de la Mission.

L’étreinte infinie des herbes bientôt les saisit. Le marais ... Le Bahr el-Ghazal ! Les vivres diminuent. Le 5 février, ils ont avancé de 1 100 mètres en dix heures et demie de travail acharné. Baratier distribue la dernière poignée de farine. Evoquant ces journées, il écrira plus tard « L’horizon recule indéfiniment, pas un arbre auquel accrocher le plus faible espoir, rien que l’herbe, l’herbe aussi haute qu’un mât, l’herbe jusqu’à la ligne du ciel, l’herbe que l’on prend en haine folle ; l’herbe, fournaise sous le grand soleil, linceul glacé dans la nuit ; l’herbe qui sera demain notre tombeau. » Le 6 février il reste un oiseau et 2 kilos de riz pour 35 hommes. Reculer il n’y faut pas songer. Le salut ne peut être que dans la marche en avant. Désormais les racines de nénuphars deviennent l’unique ressource. Soudain le 9 février, c’est l’eau libre. Est-ce le Bahr el-Ghazal ? Le 10 février, les herbes à nouveau, barrent le passage, les guides disparaissent. « Sommes-nous sur les lieux où dix-sept ans plus tôt, Gessi-Pacha vit mourir de faim ses cent hommes, femmes et enfants au milieu des pires scènes de sauvagerie ? .. Non ... Cette fois, nous sommes sortis du marais, des jujubiers apparaissent au loin, un hippopotame est tué. Le 13 février s’ouvre la plaine des papyrus. Dans une éclaircie, Baratier nous dit qu’il distingue tout à coup une forme étrange ... On dirait un énorme oiseau taillé dans un morceau de bois, coupé à coups de hache, sa tête carrée lui donne l’apparence d’un juge coiffé du bonnet traditionnel, écoutant gravement les plaideurs. Ouel est cet oiseau ? Presque aussitôt la lumière se fait en mon esprit. J’ai devant moi le Baleiniceps Rex ! Le célèbre oiseau qui, sur toute la terre, n’existe que dans le Bahr el­Ghazal ! Alors, plus de doute, je suis dans le Bahr el-Ghazal l". »

Cette reconnaissance de Baratier devait sau­ver la mission en lui ouvrant son chemin et en la prévenant des dangers. Le moment est sans doute venu de mettre en lumière son caractère de dispersion extrême, dû à la multiplicité des tâches : création de postes défensifs sur la frontière équatoriale, longueur infinie des communications en pays inconnu, établissement des bases, difficultés des transports ... De ce fait, l’épopée dans sa réalisa­tion matérielle éclate sur le terrain. Elle n’est pas en « fer de lance » comme celle des mar­souins du RICM enlevant Douaumont, mais « en geste de semeur ». Le rôle du chef, à tous les échelons de la hiérarchie, s’en trouve grandement affirmé. Dès l’instant où les amarres sont lâchées, plus de liaison possible avec le commandant de la mission, premier après Dieu. Aussi, la foi de celui qui tient le flambeau, s’impose-t-elle à tous. Le salut en dépend ! Son regard, le ton de sa voix, son geste d’adieu, il faudra les garder précieusement en soi. Ils seront secours, viatique, réconfort ... Ecoutez Marchand dans un message de mars 1898 à la France « Suis obligé vous signaler danger grave et constant agir sur d’immenses étendues de territoire, au milieu populations inquiètes etfrémissantes, avec les 12 officiers, sous-officiers et 170 tirailleurs qui m’accompagnent. » L’angoisse parfois étreindra Marchand. Un soir, il croit Baratier perdu : « Mais non c’est impossible ... Je ne veux pas. »

Par suite de la baisse des eaux, ce n’est que le 4 juin 1898 que Marchand quitte Fort-Desaix, point de regroupement de la mission. Elle occupe Fachoda le dimanche 10 juillet 1898, avec son premier échelon de cinq embarcations légères 1z’. Le capitaine Mangin qui avait com­mandé successivement les postes de Fort-Desaix, Djour, Ghattas, Nechra-er-Rek, élève rapide­ment un fort, devant lequel se brise le 25 août 1898, une attaque derviche. Le 19 septembre, le « Sirdar », sir Herbert Kitchener, commandant en chef d’une armée égyptienne encadrée par des officiers anglais, se présente devant Fachoda. Invité par l’aide de camp du Sirdar à se rendre à bord du Dal, Marchand répond : « Je dois la première visite au Sirdar et dans un instant je serai à son bord. » Le capitaine Germain, son second, l’accompagne. Les premières paroles sont cordiales. « Je regrette, dit le Sirdar, que vous ne soyez pas Anglais. » Puis, comme il félicite encore Marchand de son exploit, celui-ci désigne de la main ses troupes alignées sur le rempart du fort, reportant ainsi sur elles tout l’honneur du succès. « J’ai reconnu dès lors, racontait plus tard Kitchener, que j’avais affaire à un gentle­man. » Puis on en vint aux questions sérieuses.

 Major, il faut que je place à Fachoda le drapeau de SA le Khédive.
 Je ne puis le permettre, mon général, puisque mon drapeau y est.
 Et si mes instructions me prescrivent d’ar­borer sur le fort le drapeau de SA le Khédive ? -Je serais obligé de m’y opposer, mon général !
 Savez-vous, Major, que de cette affaire peut sortir la guerre entre la France et l’Angle­terre ?

« Je m’inclinai sans répondre, dira plus tard Marchand. Le général Kitchener se leva. Il était très pâle ; je me levai aussi. Il promena son regard sur sa nombreuse flottille, où des hom­mes, 2000 au moins, étaient pressés les uns contre les autres. Puis il se tourna vers notre fort, au sommet duquel on voyait briller des baïonnettes. Cette inspection muette passée, le général eut un geste large du bras au-dessus de sa flottille, puis abaissant la main vers notre fort, il me dit avec lenteur

 Major, la suprématie ...
 Mon général, la suprématie ne peut s’éta­blir que par le combat.
 Vous avez raison, Major, mais il faut que j’arbore le drapeau de SA le Khédive ... sur le fort. Vous ne voulez pas ?
 C’est impossible, mon général, placez-le sur le village.
 Je crois. Major, que la conversation offi­cielle est terminée maintenant.
 Comme il vous plaira, mon général"’. Un conflit armé se trouvait ainsi évité.

A 3 heures de l’après-midi, Kitchener rend sa visite à Marchand. Les présentations faites, on s’entretient des campagnes passées. On parle de la France. Depuis si longtemps, les nôtres l’ont quittée ... Et voici qu’ils apprennent d’affreuses choses : l’affaire Dreyfus, les chutes de ministères, les suicides. En se levant, le Sirdar conclut

 Oui, vous avez fait de très belles choses, de très belles choses, mais la France ne vous soutiendra pas. Du reste je vais vous envoyer quelques journaux. En les recevant, une heure plus tard, « tous tremblaient et pleuraient », a écrit Marchand. Et à ces hommes on demanda de reculer... A eux dont le mot d’ordre depuis des années était d’aller de l’avant malgré la forêt, les difficultés administratives, le doute, l’hostilité des tribus, le manque de moyens, la faim, les marécages, les fièvres et la mort... Reculer !

Ils ne reprendront pas le chemin des marais. On ne prend pas à rebours le chemin d’une épopée ! Ils ne descendront pas non plus le Nil, on les prendrait pour des prisonniers ! Ils gardent la hauteur des victorieux. L’Abyssinie leur est ouverte... A Addis­Abbeba, est conservé à la résidence de France le drapeau déposé par Marchand. Ce drapeau est monté sur un frêle roseau, un roseau proba­blement coupé au Bahr el-Ghazal. On le garde précieusement en souvenir de l’épopée de l’Atlantique à la mer Rouge. A Djibouti, le croiseur D’Assas les attendait. Ils y arrivèrent le 16 mai 1899.

« N’ Gou Kouta ! N’ Gou Kouta ! » La mer ! s’écrièrent d’une seule voix nos tirailleurs, répétant sans le savoir, l’exclamation des dix mille de Xénophon.

La France reçut la mission Marchand avec un enthousiasme extraordinaire. Cette épopée douloureuse bouleversait le peuple au plus pro­fond de sa conscience et lui rendait le sentiment d’une vraie grandeur. Au débarquement à Toulon ce fut un accueil grandiose. Chacun des membres de la mission reçut solennellement la médaille coloniale avec la fameuse agrafe en or « De l’Atlantique à la mer Rouge ». Le défilé de nos tirailleurs le 14 juillet 1899 à Longchamp souleva le délire. Mais dès le lendemain, la mission était dissoute. Elle mourait ainsi un soir d’apothéose.


Les troupes de Marine 1622-1984 ed editions Lavauzelle 1991

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