mercredi 4 avril 2007, par
Débuts d’Hannibal en Espagne (224)
(1) Quelques sénateurs, presque tous les plus sensés, partageaient cette opinion ;
mais, comme il arrive trop souvent, le parti le plus nombreux l’emporta sur le plus sage.
Hannibal, dès son entrée en Espagne, attira sur lui tous les yeux. (2) "C’est Amilcar dans
sa jeunesse qui nous est rendu, s’écriaient les vieux soldats. Même énergie dans le visage,
même feu dans le regard : voilà son air, voilà ses traits." Mais bientôt le souvenir de son
père fut le moindre de ses titres à la faveur. (3) Jamais esprit ne se plia avec plus de
souplesse aux deux qualités les plus opposées, la subordination et le commandement : aussi
serait-il difficile de décider s’il était plus cher au général qu’à l’armée. (4) Point
d’officier qu’Hasdrubal choisît de préférence, s’il s’agissait d’un coup de vigueur et de
hardiesse ; point de chef, qui sût inspirer au soldat plus de confiance, plus d’audace. (5)
Plein d’audace pour affronter le péril, il se montrait plein de prudence au sein du danger.
Nulle fatigue, n’épuisait son corps, ne brisait son âme. (6) Il supportait également le
froid et le chaud. Ses repas avaient pour borne et pour règle les besoins de la nature et
non la sensualité. Pour veiller ou pour dormir, il ne faisait nulle différence entre le jour et la nuit. Il donnait au repos les moments que les affaires lui aissaient libres, et il ne provoquait le sommeil ni par la mollesse du coucher ni par le silence. On le vit souvent, couvert d’une casaque de soldat, s’étendre à terre au milieu des sentinelles et des corps de garde. Ses vêtements ne le distinguaient nullement des autres : ce qu’on remarquait, c’étaient ses armes et ses chevaux. Il était à la fois le meilleur cavalier, le meilleur fantassin. Le premier, il s’élançait au combat ; le dernier, il quittait la mêlée.
De grands vices égalaient de si brillantes vertus : une cruauté excessive, une perfidie plus que punique, rien de vrai, rien de sacré pour lui, nulle crainte des dieux, nul respect des serments, nulle religion. Avec ce mélange de qualités et de vices, il servit trois ans sous les ordres d’Hasdrubal, sans rien négliger de ce qu’il fallait faire ou voir pour devenir un grand capitaine.
Eugène Lasserre, Tite-Live, Histoire romaine, t. IV, Paris, Garnier, 1937
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