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Le mythe et le conte

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La bibliographie sur la légende arthurienne est éblouissante. Aussi bien par le nombre que par la qualité des travaux, le célèbre ensemble a été exploré et analysé par les passions et par les exigences des méthodologies de l’heure : l’analyse interne d’oeuvres, leurs structures narratives - l’architecture de l’ensemble de la légende qui donnent au roman en vers le statut d’une excroissance, alors que le récit en prose tente de cerner l’histoire du Graal depuis son origine, dans le projet de faire de cette histoire une sorte de somme romanesque - les origines mythiques enfin, ont suscité les fièvres des chercheurs.
La matière arthurienne est le carrefour des réécritures, des échos de texte à texte, des mouvances de motifs rassemblés, parfois éclatés, dispersés dans d’autres contextes. Un pivot : Chrétien de Troyes auquel se réfèrent les récits. Mais l’auteur champenois est relayé par une autre autorité, celle de Merlin qui transmet le récit à Blaise, dans la forêt de Northumberland : "Mais Chrétien de Troyes ne parle pas de cela, pas plus que les autres trouvères qui en ont fait la matière de leurs rimes délectables. Nous cependant, nous n’en disons que ce qui concerne notre récit, que ce qu’en fit transcrire Merlin à Blaise, son maître " (Le Chevalier à l’épée).
Malgré les bilans déjà effectués, d’autres démarches novatrices, en particulier l’esprit nouveau de la recherche enrichie par l’anthropologie, doivent cependant être mis en relief ici.

Ainsi Georges Dumézil, en mettant en rapport la conception indoeuropéenne des trois fonctions et la théorie médiévale des trois ordres, a conféré une belle impulsion aux recherches qui éclairent le roman arthurien par la structure trifonctionnelle. Féconde rencontre effectuée par Joël H. Grisward dans une étude sur " Uterpendragon, Arthur et l’idéologie royale des Indo-Européens " - La figure du souverain, le premier des bellatores, est à la jonction de la fonction sacrée et de la fonction militaire. Mieux encore, le prince surplombe les trois fonctions. Voici que les documents littéraires viennent alimenter l’analyse des textes de grands clercs médiévaux : la naissance d’Arthur et l’épisode de son élection, la duperie d’Uterpendragon prenant grâce à l’art de Merlin les traits du duc de Tintagel, le jeune Arthur arrachant, sous les yeux émerveillés de tous, l’épée Excalibur du perron. La métamorphose du père et l’épée arrachée à l’enclume sont réintégrées par le chercheur dans un groupe de motifs qui leur donnent sens. Car, Joël Grisward le dit fort justement, la conception d’Arthur pourrait être une histoire de vaudeville, au mieux une reprise des amours antiques de Jupiter et d’Alcmène, épouse d’Amphitryon. Mais pour vaincre Ygerne, Uter a recours à une série de moyens : or et bijoux, force guerrière et magie, richesse, force physique et art de l’enchanteur. Or dans l’Edda, le dieu Freyr tombe amoureux de la géante Gerdr et son messager utilise la série de trois moyens - présents d’or, menace de l’épée, baguette magique et incantation runique. La même structure se retrouve dans le troisième livre des Gesta Danorwn de Saxo Grammaticus. Selon la même approche, l’épée arrachée du perron ne doit pas faire oublier le temps qui s’écoule entre la réussite de l’épreuve et le sacre d’Arthur : l’usage des trois fonctions permet aussi de comprendre la suite des trois épreuves d’Arthur ; celui-ci témoigne d’abord de sagesse et d’intelligence, il teste sa force guerrière, il prouve qu’il sait faire un usage heureux des biens et de l’abondance féconde.
Un autre témoignage peut éclairer ceux qui s’intéressent à la légende arthurienne : le Graal a été mis en rapport avec les talismans royaux des Indo-Européens. L’énigmatique séquence, le regard stupéfait et le silence qui s’ensuit : les tenants de la thèse celtique ont exposé l’ampleur de l’héritage où le chaudron et l’arme magique, la lance des dieux, sont des objets de l’Autre Monde. Que faire cependant du " tailloir " ? Des ensembles cohérents d’objets - depuis Hérodote relatant les débuts de la nation scythe jusqu’à Quinte Curce, un joug de boeuf, une charrue, une lance et une flèche, enfin une coupe, représentent l’univers symbolique des trois fonctions sociales indo-européennes. Ces talismans seront rapprochés des quatre joyaux des anciens dieux de l’épopée irlandaise.Dans ce cas le Graal de Wolfram von Eschenbach serait à rapprocher de ces talismans royaux, la Pierre de Fal, symbole de la terre d’Irlande, l’omphalos d’Irlande et l’or sacré des Scythes. L’épopée irlandaise des Tûatha Dé Dânann, les anciens dieux de l’Irlande, et les objets sacrés des Scythes, enfin le cortège sacré du Graal, voici bien les quatre talismans qui s’articulent sur les fonctions : le Graal, récipient lié au culte pour symboliser la fonction magico-religieuse ; l’épée et la lance, symboles de la fonction guerrière, le tailloir enfin pour la fonction nourricière, en partie assumée également par le Graal.

Cette insistance sur la notion de groupe structuré d’objets dans leur relation à la personne du roi permet de faire échapper à l’arbitraire la singulière apparition du scénario : ainsi "l’aventure du Graal se lit et se livre comme la métamorphose médiévale d’un très vieux récit, transmis par les Celtes et qui, quelque quatre mille ans plus tôt, racontait comment un apprenti roi parvenait, à travers un certain nombre d’épreuves, à conquérir les talismans de souveraineté (instruments et symboles des trois fonctions sociales) dont l’harmonieux, groupement et la conservation dans des mains qualifiées garantit la prospérité du royaume, et à restaurer une, royauté déchue, indigne ou impuissante, dans un pays frappé de stérilité ". Héritage d’une légende royale, le Perceval marque les étapes d’une initiation.Par ailleurs le merveilleux arthurien (mirabilia : étonnement, crainte et admiration, ces contes " irréels et séduisants " dont parlait le poète !), le foisonnement croissant des éléments qui échappent à toute rationalisation n’ont pas manqué d’attirer l’attention des ethnologues, de tous ceux qui s’attachent à la mémoire collective et à la transmission orale. Ainsi il serait temps de voir autrement qu’en récits d’épigones Les Merveilles de Rigomer, la juxtaposition parfois abrupte des épreuves étonnantes, les châteaux tournoyants de La Demoiselle à la mule ou du Chevalier au Papegau.
Nourri de lectures savantes, le merveilleux arthurien témoigne à quel point la société médiévale a tiré parti d’un fond ancien, en l’imprégnant de ses propres structures mentales et imaginaires ; il montre aussi à quel point les instances ecclésiastiques ont réussi à entraîner un mouvement de christianisation des héritages païens. Les travaux de Jacques Le Goff et de son entourage ont déjà bien cerné cet effort de maîtrise d’un imaginaire qui n’allait guère au-devant des voeux de régulation de l’Eglise.
Certains récits arthuriens donnent réellement l’impression au lecteur que l’auteur a fait place à des fantasmagories qui circulaient aussi bien dans l’ t que par la transmission orale de son époque. Le fait d’ailleurs que des prédicateurs, dans ces anecdotes édifiantes dont ils se servaient pour attirer l’attention de leur public, aient intégré des éléments folkloriques, et en particulier la légende arthurienne, dit assez que le schématisme des contes populaires peut alimenter les questions que le spécialiste de la littérature poscça aux récits écrits ; les études sur les Contes sont un instrument inappréciable dans la mesure où " le folkloriste est en mesure de réaliser les seules expérimentations sur le vivant qui soient accessibles au médiéviste. "
Des schémas de contes, en nombre généreux, jaillissent du Livre de Caradoc : ainsi le serpent enroulé qui ne fait plus qu’un avec le bras du héros, les deux cuves placées une nuit de pleine lune, l’une remplie de vinaigre, l’autre de lait pour attirer le serpent ; les fantasmagories nocturnes de Lancelot dans Les Merveilles de Rigomer, la sorcière et sa nièce, l’ensorcellement de Lancelot, et dans le Papegau, le tournoi fantôme, la fleur placée sur la poitrine qui protège des revenants diabolisés. Un ordre de l’imaginaire, sinon du récit, ou peut-être un autre ordre du récit auquel on n’opposera pas les projets, plus graves, d’autres récits nourris de références tirées de l’Écriture sainte !
Des études récentes ont analysé les rapports du roman médiéval et du conte populaire. Ainsi pour le thème du château désert, Edina Bozoky examinait cet espace apparemment désert que le héros rencontre souvent sur son chemin, dans les deux premières Continuations Perceval : deux contes présentent un château-piège où un combat s’engage entre le héros et le seigneur du lieu. prisonniers du château seront délivrés. Parfois ils ont été victimes d’un enchantement que brise le héros. Le Bel Inconnu en donne un excellent exemple, car l’enchantement a entraîné la métamorphose en " guivre " d’une prince se que seul le " fier baiser " rendra à sa forme precédente ce château au désert peut aussi être un lieu utopique, un palais de l’Autre Monde tel que le décrit le Lai de Guingamor, qui rappelle des récits gallois (Manawyddan, fik de Llyr) ou des contes populaires dont la structure se retrouve aisément.
Un excellent témoin de l’appropriation par la symbolique chrétienne d’un motif merveilleux est la " bête glatissant " de la légende arthurienne, une sorte de monstre dont Merlin explique la signification dans la Suite du Merlin. Il s’agit d’un animal blanc, portant une croix vermeille et répandant une odeur délicieuse. C’est cette bête que l’on trouve dans le Perlesvaus où elle signifîe le Christ sacrifîé. A partir de Gerbert de Montreuil, le fantastique de l’aventure et l’aspect monstrueux de la bête seront accentués, peu à peu elle devient créature diabolique. Mais plus tard, dans Le Chevalier au Papegau, une bête merveilleuse, au pelage vermeil, guide le héros vers un revenant aux cheveux blancs, aux vêtements éclatants de blancheur, qui mène le héros vers l’arbre odorant. Hasard des agencements, éclatement d’un motif ? La durée joue parfois comme un gobelet où des dés sont agités, puis relancés pour une nouvelle configuration. A ceux qui seraient tentés de s’enfermer dans le seul système littéraire de récits parfaitement architecturés, ces comparaisons montreront tout l’intérêt qu’il y a à évoquer un imaginaire collectif, ce qui contribuerait à éclairer la manière dont les oeuvre s ont été appréciées, et par suite leur évolution au fil des décennies, leurs mutations et la vie des traditions narratives.

En marge d’une enquête à l’initiative de Jacques Le Goff sur les exemple, des recherches fécondes sont menées dans le domaine du conte par. le Groupe d’anthropologie historique de l’Occident médiéval. On sait l’importance des traditions populaires dans les exemple. Ainsi les récits de la littérature à proprement parler sont des jalons qui permettent de comprendre un autre pan de la diffusion des contes. Le conte merveilleux médiéval, dans sa brièveté, peut éclairer l’agencement tantôt savant, tantôt abrupt qui en est fait dans les récits que nous lisons. Aucun clerc n’a jamais, en vérité, rédigé de recueil de contes, mais le genre a bien existé par transmission orale, l’écrit n’en recueillant qu’une très infime partie. L’imaginaire celtique, si souvent invoqué lorsqu’on voulait traquer les sources de Chrétien de Troyes, est maintenant, bien cerné comme réservoir d’éléments merveilleux venus alimenter les récits de la chevalerie errante. Les " enchantements de Bretagne ", les invites de l’Autre Monde, les amours avec des êtres venus d’ailleurs - souvent soigneusement estompés chez Chrétien de Troyes où les femmes aimées sont de grandes dames ou des reines, tous ces éléments ont subi une christianisation et une rationalisation parfois poussées. Restent ces objets qui ne proposent aux yeux que leur mystère, et le lecteur demeure aussi hébété que Gauvain : une épée brisée qui attend une soudure magique, une, arme forgée dans l’Autre Monde, l’épée d’Arthur qu’une main mystérieuse ramène au fond du lac, objets enchantés, cor ou mantel pionniers des analyses narratologiques ont parfois mal jugé la juxtaposition des motifs. Le rapport nouveau au monde des contes, favorisé par les ethnologues et les historiens des mentalités, incite à réexaminer cette tradition narrative. A ceux donc qui seraient tentés de parler d’un déclin et d’une apogée de la légende, l’anthropologie contemporaine apporte quelques raisons de lire autrement ces textes qui, dans le système interne, ne prétendent pas toujours à une signification concertée, mais qui relèvent de fantasmes et d’affects débordant le seul écrit médiéval. Non en termes d’archétypes, mais en constantes d’imaginaire prises en charge par des sociétés données : non seulement des lieux enchantés, mais des guérisseurs et des touchers magiques ; des boucliers du centre desquels une tête de dragon jette du feu ; une ville mythique où le feu a pris le jour de la mort du roi, et dont seul le roi à venir pourrait éteindre l’incendie s’il acceptait de se jeter dans les flammes ; des envoûtements et des amnésies ; des corps disloqués et pourtant entiers ; des bustes maléfiques et des décapitations qui sont des leurres... en somme, ce que nous promet le récit de Rigomer, " tout est enchantement, magie noire et féerie ", et par suite " mettre fin aux merveilles, ce serait prétendre passer la mer à pied sec "

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