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La Table Ronde et l’Aventure

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De l’éthique de l’Aventure, une interprétation sociologique a été proposée : la tension entre la petite noblesse et la grande féodalité aurait mené à la création d’un idéal de classe dont le meilleur territoire est celui du rêve que permet la littérature. En expansion à la cour des Plantagenêt et dans les cours de Champagne et de Flandre, cet idéal souligne une forte valorisation de l’individu, car le héros du récit est un élu qui doit faire ses preuves, il est destiné à rendre à la communauté de la fiction les plus grands services. Le roman d’Érec se termine par l’apothéose de la Joie de la Cour, la délivrance de ceux qui sont enfermés dans le verger magique de Màboagrain ; le roman d’Yvain se clôt par la délivrance des jeunes filles dans le château de Pesme Aventure. Ces issues messianiques se retrouvent jusqu’au Chevalier au Papegau.

Ainsi pour la société de l’époque, se voir proposer des modèles culturels dans la littérature ne devait pas être sans effet : ce n’est pas un hasard si les historiens se sont intéressés aux figures arthuriennes et à la formation de l’éthique chevaleresque. C’est autour d’Arthur, souverain idéal et généreux, que se développe cette exigence d’un accomplissement personnel, bien éloigné des exploits des chrétiens contre les musulmans dans la chanson de geste. La société imaginaire verra son temps structuré par l’aventure chevaleresque dont la dynamique ne se figera peut-être qu’au 16e siècle. Encore Le Chevalier au Papegau est-il là pour nous rappeler qu’après avoir épuisé toutes les aventures possibles, la légende peut mettre Arthur au service, pour un ultime récit, de la notion d’Aventure. L’aventure, le départ pour une quête, est un élément si important qu’elle donne vie à la cour d’Arthur, qui meurt si une aventure n’y survient. Lorsque les aventures se taisent, la cour est morne. Arthur ne veut pas manger et il attend, le temps est suspendu. Le roi est " pensif ", plongé dans ses pensées, sombre et nerveux. Il peut même se montrer " mélancolique ", ce qui arrive dans le Perlesvaus " Un jour, sa volonté se trouva comme paralysée, et il perdit le désir de se montrer généreux. Il n’avait plus envie de tenir sa cour, ni à Noël, ni à Pâques, ni à la Pentecôte. Voyant ses bienfaits se raréfier, les chevaliers de la Table se dispersèrent et commencèrent à délaisser sa cour. Des trois cent soixante-dix chevaliers qu’il avait habituellement auprès de lui, il n’en conserva que vingt-cinq tout au plus. Aucune aventure n’arrivait plus à la cour. " Arthur a donc cessé d’être le souverain modèle, Guenièvre est consternée. En effet l’aventure survient dans une cour qui n’a pas démérité.
Le plus souvent la cour n’y est pour rien et, dans un récit de tonalité moins grave, le roi lui-même veut secouer l’inertie du temps : " Mon neveu, dit le roi à Jaufré, faites seller. Nous irons chercher les aventures, puisque je vois qu’elles ne viennent pas à notre cour ! " Pourtant il s’agit en général d’un départ solitaire. Chez Chrétien de Troyes, au début du Chevalier au lion, Calogrenant raconte en ces termes son départ pour l’une de ses aventures : " Il advint, il y a plus de sept ans, que j’allais, cherchant aventure, seul comme un manant, armé de pied en, cap, comme un chevalier doit être. Prenant à droite, je m’engageai dans une forêt épaisse. Le chemin était malaisé, plein de ronces et, d’épines ; ce ne fut pas sans peine ni sans difficulté que je m’y engageai et poursuivis ma route. Je chevauchai ainsi presque tout le jour, jusqu’à ce que je sortisse de la forêt (c’était Brocéliande) ; j’entrai alors dans une lande... " Calogrenant fait partie de. ces " chevaliers errants qui vont en quête d’aventures " : il va en effet trouver l’aventure de la Fontaine. Yvain prendra sa suite.

Le chevalier errant fait partie d’une élite : il est souvent d’origine royale, fils ou neveu de roi, comme Érec fils du roi Lac, ou Yvain fils d’Urien, ou d’autres qui sont fils de chevaliers. L’éventail " social " de l’imaginaire est relativement large, mais la notion d’élite est toujours prononcée. Si le chevalier peut être " sans nom ", Perceval se découvre bien vite l’unique descendant mâle d’une lignée royale ! Aux chevaliers de la Table Ronde s’ajoutent enfin des chevaliers " nouveaux ", et le nombre en est élevé. Merlin en avait prévu cent cinquante, dans Le Chevalier aux deux épées on prévoit trois cent soixante-six chevaliers, réserve quasi inépuisable pour l’aventure dont le roman de Claris et Laris saura bien faire usage pour ses itinéraires compliqués. La cause des départs est d’ordre éthique : leur origine est le désir d’éprouver sa hardiesse et d’accomplir des exploits. Le chevalier qui part pour l’aventure part seul, sans compagnon, et ces départs sont des rituels souvent solennels. Le chevalier quitte l’espace social pour l’inconnu. Cet espace, on l’a vu pour Calogrenant, est celui qui mène hors de l’espace social : si le cadre spatial ne prétend pas à une vraisemblance documentaire, la forêt reste terrifiante et périlleuse. Si elle apporte de bonnes rencontres, celle des ermites par exemple, elle suscite surtout des chevaliers inconnus, un bestiaire singulier et des épreuves difficiles. La lande et la prairie sont, elles aussi, des lieux où peut surgir l’aventure. Les légendes celtiques ont laissé des traces dans un espace littéraire que Chrétien de Troyes à sensiblement tiré dans le sens d’un paysage vraisemblable pour les regards de l’époque. Le passage des frontières liquides est l’indice d’un passage vers l’Autre Monde ; au-delà de la rivière, outre le Pont Périlleux, peut se trouver l’aventure. Géographie complexe pour le lecteur qui, les yeux confrontés à la lettre doit imaginer l’espace derrière les mots - les îles ne sont pas forcément des îles, mais des lieux d’accès périlleux et aventureux. Des châteaux désolés, déserts d’habitants, disent d’emblée que l’aventure s’y cache. Des lieux ambigus, tels les cimetières qui évoquent la mort, sont des épreuves pour le chevalier qui " erre ". Le substrat folklorique est ici largement embrasé par le désir de christianisation.

A travers ce qui pourrait être un pur décor - un espace en vérité qui annonce la " merveille " ou l’épouvante, l’antiphrase des territoires déserts, d tés ou bienveillants, l’indétermination de la lande susceptible d’apporter le meilleur ou le pire - le choix même des héros élude les schèmes trop figés. Selon les récits Arthur lui-même peut dicter l’itinéraire. Lancelot et Gauvain partant ensemble se distribuent le territoire à parcourir : l’un prend à gauche, l’autre à droite. Gauvain dans L’Atre périlleux peut se trouver devant deux aventures à suivre. Que faire ? suivre la première ou la seconde ? Le temps du récit s’en complique : il peut choisir l’une avec le ferme projet de revenir à l’autre ! Ce suspens d’aventure, sous forme plus simple, intervient encore dans Le Chevalier au Papegau. Il peut y avoir quelque palpitation lorsqu’un héros se trouve devant trois voies, peu engageantes par leur nom même : la Voie sans Merci, la Route de l’Injustice, la Route sans Nom. C’est celle que prendra Méraugis, comme un défi.

Le lecteur sera frappé par les notations de chevauchées et l’abondance des trajets. Les héros arthuriens voyagent beaucoup, ils sillonnent de nombreux pays : " Ils rencontrèrent bien des aventures et mirent toute leur ardeur dans cette quête " (Méraugis). La linéarité d’une recherche d’aventure peut s’interrompre pour le temps particulier d’une aventure plus merveilleuse que les autres, celle qui condamne le héros au temps cyclique de l’ensorcellement, de la carole magique par exemple dans laquelle se trouve pris Méraugis.
Parfois même la perception de l’espace, interrogé du regard ou parcouru à cheval, fait surgir une rêverie sur le temps et la mémoire, sur ces paralysies de la volonté que pourraient entraîner les errances répétées, si la diversité renouvelée des lieux ne venait nourrir l’appétence du chevalier en quête et lui rappeler le plaisir d’être.Mais les errances ont souvent une issue guerrière, avec les comportements que l’on attend d’un chevalier. D’ailleurs l’" errant ", pour être hardi, n’en sort pas forcément indemne. La vie chevaleresque mise en oeuvre dans les récits implique un idéal du chevalier, modifié par rapport à celui que met en oeuvre la chanson de gestes. A la limite de l’irréel parfois, les aventures, fictives dans leur essence même, permettent toutes les victoires du courage et du défi. Souvent elles font appel au code de la chevalerie : sauver les faibles et les opprimés, les dames en détresse, les demoiselles assiégées. C’est bien l’un des premiers commandements de Gornemant de Goort au jeune Perceval.

Dans le Merlin, l’ermite rappelle au chevalier aux deux épées que tout chevalier errant doit prendre " les aventures comme elles arrivent, bonnes ou mauvaises ". Guerrières ou mystérieuses, coutumes cruelles et cataclysmes d’un Autre Monde, les aventures tiennent le chevalier en haleine, tout comme la cour en vit, quitte à voir l’aventure se transformer en transgression de la personne royale elle-même, un verre renversé sur la robe de Guenièvre ou l’enlèvement de la reine par Méléagant dans Le Chevalier à la charrette. L’axe des quêtes et la dynamique des aventures fournissent un répertoire infini de combinaisons narratives. Ainsi, à partir de Chrétien de Troyes et pour le reste de la légende à venir, se consolide une structure stable qui est celle des quêtes multipliées. Un scénario aux issues variables, mais toujours, comme le voulait Merlin, un retour à la cour : le cycle de l’aventure se boucle solennellement par l’éternel retour à la Table Ronde. Si pour le départ un rassemblement de fête donnait le grand branle au monde arthurien, le retour se fait aussi au moment des rassemblements fastueux pour que le héros puisse consigner dans la mémoire orale de tous, les hauts faits qu’il a accomplis, et Merlin confie à Blaise la tâche de consigner tous les événements jusqu’à la fin des temps. Ainsi le roman se montre propice à l’élaboration de modèles d’identification : on comprend pourquoi dans les pratiques sociales, à partir du 14e siècle, tant de Tables Rondes seront instituées par de grands seigneurs, tables profanes où l’on joute et où l’on danse, en mimant Arthur et ses chevaliers, où des signes sont distribués, noms et, armoiries, qui font de l’individu un personnage de récit. Pour comprendre cette fièvre de la société de l’époque, écoutons les propos vigoureux adressés par Arthur à ses seigneurs dans le Merlin :
" Seigneurs, sachez-le, vous devrez tous revenir à ma cour à la Pentecôte, car je voudrais, en ce jour, y donner la plus grande fête qu’un roi ait jamais donnée en quelque royaume que ce soit ! Et j’ordonne à chacun de vous de venir avec sa femme, car j’entends donner tout son éclat à la Table Ronde, celle que Merlin institua sous le règne d’Uterpendragon mon père, et installer alors les douze pairs de ma cour dans les douze sièges. D’autre part, tous ceux qui assisteront à la fête et qui voudront demeurer avec moi feront à tout jamais partie de cette Table et seront accueillis avec honneur partout où ils iront car chacun recevra un, pennon ou les armoiries de la Table Ronde ! "

La cour est en effet source de toutes vertus : tous, relate Le Roman de Jaufré, peuvent s’adresser à Arthur, enfants, orphelins, dames veuves petits et grands, à qui on fait injustement la guerre ou dont on prend l’héritage par la force. Cette utopie de la disponibilité de la cour idéale, autour de la Table, inclut - il s’agit là d’une gestuelle constante - les actes de libéralité et les témoignages de largesse. Car, tout imaginaire qu’elle soit, la cour d’Arthur vit d’un beau circuit de dons et de contre-dons. A Arthur, les chevaliers qui l’entourent et qui donnent à la cour son dynamisme. ; aux chevaliers, le souverain généreux qui les incite à, l’exploit : " Largesse donne tout, son éclat à Prouesse. Largesse est un élixir qui stimule Prouesse. Nul ne saurait, sans Largesse, conquérir la gloire par la seule vertu de son bouclier " (Méraugis de Portlesguez).

A la prouesse et à la recherche de l’aventure, la femme aimée n’est pas étrangère. Chrétien de Troyes a construit le roman d’Érec autour de la problématique de l’amour et l’aventure. Quelles conceptions, peut-on à juste titre se demander, avaient trouvères et troubadours avant que la matière de Bretagne n’ait exercé son influence ? Dans les chansons de geste, on le sait, le rôle de l’amour est restreint, mais dans le roman arthurien l’amour dit " courtois ", la fin’amor, fait partie de l’idéal chevaleresque. La qualité aristocratique du lien amoureux apparaît dans tous nos récits. Culte de la dame et raffinements de la relation amoureuse : c’est dans la légende arthurienne que le lecteur peut trouver les vraies histoires d’amour du Moyen Age. L’histoire tragique de Tristan et Iseult appartient certes à l’horizon celtique, mais le monde d’Arthur est riche d’amours qui conjoignent quelque élément qui resterait des amours avec les fées et cette représentation de l’amour, née au 12e siècle, qui fait de la dame un seigneur dont l’amant est le vassal. Ainsi Merlin est-il prisonnier de Viviane qui lui a dérobé son art d’enchanteur. Lancelot est le parangon de toutes les vertus amoureuses : son obéissance à Guenièvre, la disponibilité au moindre de ses désirs est bien évidente dans Le Chevalier à la charrette. Le Lancelot du Perlesvaus est tout aussi inconditionnel. quand il apprend la mort de Guenièvre " il se dit tout bas que son bonheur est perdu désormais, et ses exploits terminés, dès lors qu’il a perdu la noble reine dont lui venaient le désir, le courage et la hardiesse de se montrer valeureux. Les larmes coulent de ses yeux à travers la ventaille, et s’il avait osé donner libre cours à sa douleur, elle aurait été bien plus violente ".

Si ces passions secrètes sont rares, l’amour courtois en revanche ses métaphores, sa mise en scène de l’intériorité au moyen d’un dialogue avec l’allégorie Amour - est bien représenté dans nos récits. L’amour courtois est réservé à l’élite de ceux qui savent progresser, étape par étape,sur le parcours initiatique du désir. L’amour courtois est charnel, mais veut se faire attendre. L’amour peut naître dans l’instant, mais la possession exige d’abord la modération et la mesure. Chrétien de Troyes avait montré les difficultés qu’il y avait à conjoindre l’amour et l’aventure, le goût de l’accomplissement de soi et le mariage. Surtout dans Cligês, l’écrivain s’était attaché à là dévotion amoureuse, au service que l’amant doit à là femme qu’il aime. D’où la création de moyens d’expression pour l’analyse du sentiment naissant. L’amour frappe comme une maladie. Ainsi nos récits affirment l’existence d’une casuistique amoureuse, fût ce sur le mode parodique, des amants qui se risquent au dialogue ; il faudra oublier la préciosité du Grand Siècle pour retrouver ici la fraîcheur des premières images et des premières explorations intérieures. La sophistication, non dénuée d’humour, de tel ou tel récit montre bien l’influence qu’a exercée notre premier grand romancier.

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