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Histoire d’un conscrit de 1813 - XII

, par

Tout cela, comme disait le sergent Pinto, n’était encore que le commencement de la fête, car la danse allait venir.

En attendant, nous faisions le service de la citadelle avec un bataillon du 27e, et, du haut des remparts, nous voyions tous les environs couverts de troupes, les unes au bivac, les autres cantonnées dans les villages.

Le 18, en revenant de monter la garde à la porte de Warthau, le sergent qui m’avait pris en amitié me dit :

"Fusilier Bertha, l’Empereur est arrivé."

Personne n’avait encore entendu parler de cela, et je lui répondis :

"Sauf votre respect, sergent, je viens de prendre un petit verre avec le sapeur Merlin, en planton la nuit dernière à la porte du général, il ne m’a rien raconté de ces choses."

Alors, lui, clignant de l’oeil, dit :

"Tout se remue, tout est en l’air... Tu ne comprends pas encore ça, conscrit, mais il est là, je le sens jusqu’à la pointe des pieds. Quand il n’est pas arrivé, tout ne va que d’une aile ; et maintenant, tiens, là-bas, regarde ces estafettes qui galopent sur les routes, tout commence à revivre. Attends la première danse, attends, et tu verras : les Kaiserlicks et les Cosaques n’ont pas besoin de leurs lunettes pour voir s’il est avec nous ; ils le sentent tout de suite."

En parlant ainsi, le sergent riait dans ses longues moustaches.

J’avais des pressentiments qu’il pouvait m’arriver de grands malheurs, et j’étais pourtant forcé de faire bonne mine.

Enfin le sergent ne se trompait pas, car, ce même jour, vers trois heures de l’après-midi, toutes les troupes cantonnées autour de la ville se mirent en mouvement, et, sur les cinq heures, on nous fit prendre les armes : le maréchal prince de la Moskowa entrait en ville, au milieu d’une grande quantité d’officiers et de généraux qui formaient son état-major : presque aussitôt, le général Souham, un homme de six pieds, tout gris, entra dans la citadelle et nous passa en revue sur la place. II nous dit d’une voix forte, que tout le monde put entendre :

"Soldats ! vous allez faire partie de l’avant-garde du 3e corps ; tâchez de vous souvenir que vous êtes Français. Vive l’Empereur !"

Alors tout le monde cria : "Vive l’Empereur !" et cela produisit un effet terrible dans les échos de la place.

Le général repartit avec le colonel Zapfel.

Cette nuit même, nous fûmes relevés par les Hessois, et nous quittâmes Erfurt avec le 10e hussard et un régiment de chasseurs badois. A six ou sept heures du matin, nous étions devant la ville de Weimar, et nous voyions au soleil levant des jardins, des églises, des maisons, avec un vieux château sur la droite.

On nous fit bivaquer dans cet endroit, et les hussards partirent en éclaireurs dans la ville. Vers neuf heures, pendant que nous faisions la soupe, tout à coup nous entendîmes au loin un pétillement de coups de fusil ; nos hussards avaient rencontré dans les rues des hussards prussiens, ils se battaient et se tiraient des coups de pistolet. Mais c’était si loin, que nous ne voyions pour ainsi dire rien de ce combat.

Au bout d’une heure, les hussards revinrent ; ils avaient perdu deux hommes. C’est ainsi que commença la campagne.

Nous restâmes là cinq jours, pendant lesquels tout le 3e corps s’avança. Comme nous étions l’avant-garde, il fallut repartir en avant, du côté de Sulza et de Warthau. C’est alors que nous vîmes l’ennemi : des Cosaques qui se retiraient toujours hors de portée de fusil, et plus ces gens se retiraient, plus nous prenions de courage.

Ce qui m’ennuyait, c’était d’entendre Zébédé dire d’un air de mauvaise humeur :

"Ils ne s’arrêteront donc jamais ? ils ne s’arrêteront donc jamais ?"

Je pensais : "S’ils s’en vont, qu’est-ce que nous pouvons souhaiter de mieux ? Nous aurons gagné sans avoir eu de mal."

Mais, à la fin, ils firent halte de l’autre côté d’une rivière assez large et profonde ; et nous en vîmes une quantité qui nous attendaient pour nous hacher, si nous avions le malheur de passer cette rivière.

C’était le 29 avril, il commençait à se faire tard, on ne pouvait voir de plus beau soleil couchant. De l’autre côté de l’eau s’étendait une plaine à perte de vue, et, sur le bandeau rouge du ciel, fourmillaient ces cavaliers, avec des shakos recourbés en avant, des vestes vertes, une petite giberne sous le bras et des pantalons bleu de ciel ; il y avait aussi derrière des quantités de lances ; le sergent Pinto les reconnut pour être des chasseurs russes à cheval et des Cosaques. Il reconnut aussi la rivière et dit que c’était la Saale.

On s’approcha le plus près qu’on put de l’eau, pour tirer des coups de fusil aux cavaliers, qui se retirèrent plus loin, et disparurent même au fond du ciel rouge. On établit alors le bivac près de la rivière, on plaça des sentinelles. Nous avions laissé sur notre gauche un grand village ; un détachement s’y rendit, pour tâcher d’avoir de la viande en la payant, car, depuis l’arrivée de l’Empereur, on avait l’ordre de tout payer.

Dans la nuit, comme nous faisions la soupe, d’autres régiments de la division arrivèrent ; ils établirent aussi leurs bivacs le long de la rive, et c’était quelque chose de magnifique que ces traînées de feu tremblotant sur l’eau.

Personne n’avait envie de dormir ; Zébédé, Klipfel, Furst et moi, nous étions à la même gamelle, et nous disions en nous regardant :

"C’est demain que ça va chauffer, si nous voulons passer la rivière ! Tous les camarades de Phalsbourg, qui prennent leur chope à la brasserie de l’Homme Sauvage, ne se doutent pas que nous sommes assis à cet endroit, au bord d’une rivière, à manger un morceau de vache, et que nous allons coucher sur la terre, attraper des rhumatismes pour nos vieux jours, sans parler des coups de sabre et de fusil qui nous sont réservés, peut-être plus tôt que nous ne pensons.

"Bah ! disait Klipfel, ça, c’est la vie. Je me moque bien de dormir dans du coton et de passer un jour comme l’autre ! Pour vivre, il faut être bien aujourd’hui, mal demain ; de cette façon, le changement est agréable. Et quant aux coups de fusil, de sabre et de baïonnette, Dieu merci ! nous en rendrons autant qu’on nous en donnera.

— Oui, faisait Zébédé en allumant sa pipe, pour mon compte, j’espère bien que, si je passe l’arme à gauche, ce ne sera pas faute d’avoir rendu les coups qu’on m’aura portés."

Nous causions ainsi depuis deux ou trois heures ; Léger s’était étendu dans sa capote, les pieds à la flamme et dormait, lorsque la sentinelle cria :

"Qui vive !" à deux cents pas de nous.

"France !

— Quel régiment ?

— 6e léger."

C’était le maréchal Ney et le général Brenier, avec des officiers de pontonniers et des canons. Le maréchal avait répondu 6e léger, parce qu’il savait d’avance où nous étions : cela nous réjouit et même nous rendit fiers. Nous le vîmes passer à cheval, avec le général Souham et cinq ou six autres officiers supérieurs, et malgré la nuit, nous les reconnûmes très bien ; le ciel était tout blanc d’étoiles, la lune montait, on y voyait presque comme en plein jour

Ils s’arrêtèrent dans un coude de la rivière, où l’on plaça six canons, et, presque aussitôt après, les pontonniers arrivèrent avec une longue file de voitures chargées de madriers, de pieux et de tout ce qu’il fallait pour jeter deux ponts. Nos hussards couraient le long de la rive ramasser les bateaux, les canonniers étaient à leurs pièces, pour balayer ceux qui voudraient empêcher l’ouvrage. Longtemps nous regardâmes avancer ce travail. De tous côtés on entendait crier : "Qui vive ! — Qui vive !" C’étaient les régiments du 3e corps qui arrivaient.

A la pointe du jour, je finis par m’endormir, il fallut que Klipfel me secouât pour m’éveiller. On battait le rappel dans toutes les directions ; les ponts étaient finis ; on allait traverser la Saale.

Il tombait une forte rosée ; chacun se dépêchait d’essuyer son fusil, de rouler sa capote et de la boucler sur son sac. On s’aidait l’un l’autre, on se mettait en rang. Il pouvait être alors quatre heures du matin. Tout était gris à cause du brouillard qui montait de la rivière. Déjà deux bataillons passaient sur les ponts, les soldats à la file, les officiers et le drapeau au milieu. Cela produisait un roulement sourd. Les canons et les caissons passèrent ensuite.

Le capitaine Florentin venait de nous faire renouveler les amorces, lorsque le général Souham, le général Chemineau, le colonel Zapfel et notre commandant arrivèrent. Le bataillon se mit en marche. Je regardais toujours si les Russes n’accouraient pas au grand galop, mais rien ne bougeait.

A mesure qu’on arrivait sur l’autre rive, chaque régiment formait le carré, l’arme au pied. Vers cinq heures toute la division avait passé. Le soleil dissipait le brouillard ; nous voyions, à trois quarts de lieue environ sur notre droite, une vieille ville, les toits en pointe, le clocher en forme de boule couvert d’ardoises avec une croix au-dessus, et plus loin derrière, un château : c’était Weissenfels.

Entre la ville et nous s’étendait un pli de terrain profond. Le maréchal Ney, qui venait d’arriver aussi, voulut savoir avant tout ce qui se trouvait là-dedans. Deux compagnies du 27e furent déployées en tirailleurs, et les carrés se mirent à marcher au pas ordinaire : les officiers, les sapeurs, les tambours à l’intérieur, les canons dans l’intervalle, et les caissons derrière le dernier rang.

Tout le monde se défiait de ce creux, d’autant plus que nous avions vu, la veille, une masse de cavalerie qui ne pouvait pas s’être sauvée jusqu’au bout de la grande plaine que nous découvrions en tout sens. C’était impossible ; aussi je n’ai jamais eu plus de défiance qu’en ce moment : je m’attendais à quelque chose. Malgré cela, de nous voir tous bien en rang, le fusil chargé, notre drapeau sur le front de bataille, nos généraux derrière, pleins de confiance, — de nous voir marcher ainsi sans nous presser et de nous entendre appuyer le pas en masse, cela nous donnait un grand courage. Je me disais en moi-même : "Peut-être qu’en nous voyant ils se sauveront ; ce serait encore ce qui vaudrait le mieux pour eux et pour nous."

J’étais au second rang, derrière Zébédé, sur le front, et l’on peut se figurer si j’ouvrais les yeux. De temps en temps, je regardais un peu de côté l’autre carré qui s’avançait sur la même ligne, et je voyais le maréchal au milieu avec son état-major. Tous levaient la tête, leurs grands chapeaux de travers, pour voir de loin ce qui se passait.

Les tirailleurs arrivaient alors près du ravin bordé de broussailles et de haies vives. Déjà, quelques instants avant, j’avais aperçu plus loin, de l’autre côté, quelque chose remuer et reluire comme des épis où passe le vent ; l’idée m’était venue que les Russes, avec leurs lances et leurs sabres, pouvaient bien être là ; j’avais pourtant de la peine à le croire. Mais, au moment où nos tirailleurs s’approchaient des bruyères, et comme la fusillade s’engageait en plusieurs endroits, je vis clairement que c’étaient des lances. Presque aussitôt un éclair brilla juste en face de nous et le canon tonna. Ces Russes avaient des canons, ils venaient de tirer sur nous, et je ne sais quel bruit m’ayant fait tourner la tête, je vis que dans les rangs à gauche, se trouvait un vide.

En même temps j’entendis le colonel Zapfel qui disait tranquillement :

"Serrez les rangs !"

Cela s’était fait si vite que je n’eus pas le temps de réfléchir. Mais cinquante pas plus loin il y eut encore un éclair et un bruit pareil dans les rangs, — comme un grand souffle qui passe, — et je vis encore un trou, cette fois à droite.

Et comme, après chaque coup de canon des Russes, le colonel disait toujours : "Serrez les rangs !", je compris que chaque fois il y avait un vide. Cette idée me troubla tout à fait, mais il fallait bien marcher.

Je n’osais penser à cela, j’en détournais mon esprit, quand le général Chemineau, qui venait d’entrer dans notre carré, cria d’une voix terrible :

"Halte !"

Alors je regardai et je vis que les Russes arrivaient en masse.

"Premier rang, genou terre... croisez la baïonnette ! cria le général. Apprêtez armes !"

Comme Zébédé avait mis le genou à terre, j’étais en quelque sorte au premier rang. Il me semble encore voir avancer en ligne toute cette masse de chevaux et de Russes courbés en avant, le sabre à la main, et entendre le général dire tranquillement derrière nous comme à l’exercice :

"Attention au commandement de feu. — Joue... Feu !"

Nous avions tiré, les quatre carrés ensemble ; on aurait cru que le ciel venait de tomber. A peine la fumée était-elle un peu montée, que nous vîmes les Russes qui repartaient ventre à terre ; mais nos canons tonnaient, et nos boulets allaient plus vite que leurs chevaux.

"Chargez !" cria le général.

Je ne crois pas avoir eu dans ma vie un plaisir pareil.

"Tiens, tiens, ils s’en vont !" me disais-je en moi-même.

Et de tous les côtés on entendait crier : Vive l’Empereur !

Dans ma joie, je me mis à crier comme les autres. Cela dura bien une minute. Les carrés s’étaient remis en marche, on croyait déjà que tout était fini ; mais, à deux ou trois cents pas du ravin, il se fit une grande rumeur, et pour la seconde fois le général cria :

"Halte !... genou terre !... Croisez la baïonnette !"

Les Russes sortaient du creux comme le vent pour tomber sur nous. Ils arrivaient tous ensemble ; la terre en tremblait. On n’entendait plus les commandements ; mais le bon sens naturel des soldats français les avertissait qu’il fallait tirer dans le tas, et les feux de file se mirent à rouler comme le bourdonnement des tambours aux grandes revues. Ceux qui n’ont pas entendu cela ne pourront jamais s’en faire une idée. Quelques-uns de ces Russes arrivaient jusque sur nous ; on les voyait se dresser dans la fumée, puis, aussitôt après, on ne voyait plus rien.

Au bout de quelques instants, comme on ne faisait plus que charger et tirer, la voix terrible du général Chemineau s’éleva, criant : "Cessez le feu !"

On n’osait presque pas obéir ; chacun se dépêchait de lâcher encore un coup ; mais, la fumée s’étant dissipée, on vit cette grande masse de cavaliers qui remontaient de l’autre côté du ravin.

Aussitôt on déploya les carrés pour marcher en colonnes. Les tambours battaient la charge, nos canons tonnaient.

"En avant ! en avant !... Vive l’Empereur !"

Nous descendîmes dans le ravin par-dessus des tas de chevaux et de Russes qui remuaient encore à terre, et nous remontâmes au pas accéléré du côté de Weissenfels. Tous ces Cosaques et ces chasseurs, la giberne sur les reins et le dos plié, galopaient devant nous aussi vite qu’ils pouvaient : la bataille était gagnée !

Mais, au moment où nous approchions des jardins de la ville, leurs canons, qu’ils avaient emmenés, s’arrêtèrent derrière une espèce de verger et nous envoyèrent des boulets, dont l’un cassa la hache du sapeur Merlin en lui faisant sauter la tête. Le caporal des sapeurs, Thomé, eut même le bras droit fracassé par un morceau de la hache ; il fallut lui couper le bras le soir, à Weissenfels. C’est alors qu’on se mit à courir, car, plus on arrive vite, moins les autres ont le temps de tirer : chacun comprenait cela.

Nous arrivâmes en ville par trois endroits : en traversant les haies, les jardins, les perches à houblon, et sautant par-dessus les murs. Le maréchal et les généraux couraient après nous. Notre régiment entra par une avenue bordée de peupliers qui longe le cimetière ; comme nous débouchions sur la place, une autre colonne arrivait par la grande rue.

Là nous fîmes halte, et le maréchal, sans perdre une minute, détacha le 27e pour aller prendre un pont et tâcher de couper la retraite à l’ennemi. Pendant ce temps, le reste de la division arriva et se mit en ordre sur la place. Le bourgmestre et les conseillers de Weissenfels étaient déjà sur la porte de l’hôtel de ville pour nous souhaiter le bonjour.

Quand nous fumes tous reformés, le maréchal prince de la Moskowa passa devant notre front de bataille et nous dit d’un air joyeux :

"A la bonne heure !... à la bonne heure !... Je suis content de vous !... L’Empereur saura votre belle conduite... C’est bien !"

Il ne pouvait s’empêcher de rire, parce que nous avions couru sur les canons.

Et comme le général Souham lui disait :

"Cela marche !"

Il répondit :

"Oui, oui, c’est dans le sang ! c’est dans le sang !"

Moi, je me réjouissais de ne rien avoir attrapé dans cette affaire.

Le bataillon resta là jusqu’au lendemain. On nous logea chez les bourgeois, qui avaient peur de nous et qui nous donnaient tout ce que nous demandions. Le 27e rentra le soir ; il fut logé dans le vieux château. Nous étions bien fatigués. Après avoir fumé deux ou trois pipes ensemble, en causant de notre gloire, Zébédé, Klipfel et moi, nous allâmes nous coucher dans la boutique d’un menuisier, sur un tas de copeaux, et nous restâmes là jusqu’à minuit, moment où l’on battit le rappel. Il fallut bien alors se lever. Le menuisier nous donna de l’eau-de-vie, et nous sortîmes. Il tombait de l’eau en masse. Cette nuit même le bataillon alla bivaquer devant le village de Clépen, à deux heures de Weissenfels. Nous n’étions pas trop contents à cause de la pluie.

Plusieurs autres détachements vinrent nous rejoindre. L’Empereur était arrivé à Weissenfels, et tout le 3e corps devait nous suivre. On ne fit que parler de cela toute la journée ; plusieurs s’en réjouissaient. Mais, le lendemain, vers cinq heures du matin, le bataillon repartit en avant-garde.

En face de nous coulait une rivière appelée le Rippach. Au lieu de se détourner pour gagner un pont, on la traversa sur place. Nous avions de l’eau jusqu’au ventre, et je pensais, en tirant mes souliers de la vase : "Si l’on t’avait raconté ça dans le temps, quand tu craignais d’attraper des rhumes de cerveau chez M. Goulden, et que tu changeais de bas deux fois par semaine, tu n’aurais pu le croire ! Il vous arrive pourtant des choses terribles dans la vie !"

Comme nous descendions la rivière de l’autre côté, dans les joncs, nous découvrîmes, sur des hauteurs à gauche, une bande de Cosaques qui nous observaient.

Ils nous suivaient lentement sans oser nous attaquer, et je vis alors que la vase était pourtant bonne à quelque chose.

Nous allions ainsi depuis plus d’une heure, le grand jour était venu, lorsque tout à coup une terrible fusillade et le grondement du canon nous firent tourner la tête du côté de Clépen. Le commandant sur son cheval, regardait par-dessus les roseaux.

Cela dura longtemps ; le sergent Pinto disait :

"La division s’avance ; elle est attaquée."

Les Cosaques regardaient aussi, et seulement au bout d’une heure ils disparurent. Alors nous vîmes la division s’avancer en colonnes, à droite dans la plaine, chassant des masses de cavalerie russe.

"En avant !" cria le commandant.

Et nous courûmes sans savoir pourquoi, en descendant toujours la rivière ; de sorte que nous arrivâmes à un vieux pont, où se réunissent le Rippach et la Gruna. Nous devions arrêter l’ennemi dans cet endroit ; mais les Cosaques avaient déjà découvert notre ruse : toute leur armée recula derrière la Gruna, en passant à gué, et la division nous ayant rejoints, nous apprîmes que le maréchal Bessières venait d’être tué d’un boulet de canon.

Nous partîmes de ce pont pour aller bivaquer en avant du village de Gorschen. Le bruit courait qu’une grande bataille approchait, et que tout ce qui s’était passé jusqu’alors n’était qu’un petit commencement, afin d’essayer si les recrues soutiendraient bien le feu. D’après cela, chacun peut s’imaginer les réflexions qu’un homme sensé devait se faire, étant là malgré lui, parmi des êtres insouciants tels que Furst, Zébédé, Klipfel, qui se réjouissaient, comme si de pareils événements avaient pu leur rapporter autre chose que des coups de fusil, de sabre ou de baïonnette.

Tout le reste de ce jour et même une partie de la nuit, songeant à Catherine, je priai Dieu de préserver mes jours, et de me conserver les mains qui sont nécessaires à tous les pauvres pour gagner leur vie.

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