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César contre les Germains

, par

Les Gaulois implorent le secours de César contre Arioviste

La guerre des Helvètes étant terminée, des députés de presque toute la Gaule et les principaux habitants des cités vinrent féliciter César ; ils savaient bien, disaient-ils, que sa guerre contre les Helvètes était la vengeance des injures faites au peuple romain ; mais la Gaule n’en tirait pas un moindre profit que la république, puisque les Helvètes n’avaient quitté leurs villes, dont l’état était si florissant, que dans le but de porter leurs armes sur tout le territoire des Gaulois, de s’en rendre maîtres, de choisir parmi tant de contrées, afin de s’y établir, la plus riche et la plus fertile, et d’imposer des tributs au reste des cités. Ils demandèrent à César la permission de convoquer l’assemblée générale de toute la Gaule ; ils avaient une prière à lui faire en commun. Cette permission accordée, ils fixèrent le jour de leur réunion, et s’engagèrent par serment à n’en rien révéler que du consentement de tous.

Quand cette assemblée fut close, les mêmes citoyens qui s’étaient déjà présentés devant César revinrent vers lui et demandèrent qu’il leur fût permis de l’entretenir en particulier, touchant leur sûreté et celle de tous les Gaulois. Ayant obtenu audience, ils se jetèrent à ses pieds en versant des larmes, et le prièrent aussi instamment de leur garder le secret sur leurs révélations que de leur accorder l’objet de leur demande : car si leur démarche était connue, ils se verraient exposés aux derniers supplices. L’Héduen Diviciacos prit pour eux la parole, et dit "que deux partis divisaient la Gaule. L’un avait les Héduens pour chef, l’autre les Arvernes. Après une lutte de plusieurs années pour la prééminence, les Arvernes, unis aux Séquanes, attirèrent les Germains en leur promettant des avantages. Quinze mille de ces derniers passèrent d’abord le Rhin ; la fertilité du sol, la civilisation, les richesses des Gaulois, ayant charmé ces hommes grossiers et barbares, il s’en présenta un plus grand nombre, et il y en a maintenant cent vingt mille dans la Gaule. Les Héduens et leurs alliés leur ont livré deux combats, et ont eu, outre leur défaite, de grands malheurs à déplorer, la perte de toute leur noblesse, de tout leur sénat, de toute leur cavalerie. Épuisé par ces combats et par ces revers, ce peuple, que son propre courage ainsi que l’appui et l’amitié des Romains, avaient précédemment rendu si puissant dans la Gaule, s’était vu forcé de donner en otage aux Séquanes ses plus nobles citoyens, et de s’obliger par serment à ne jamais réclamer pour sa liberté ni pour celle des otages, à ne point implorer le secours du peuple romain, à ne pas tenter de se soustraire au joug perpétuel de ses vainqueurs. Il est le seul de tous ses concitoyens qu’on n’ait pu contraindre à prêter serment ni à donner ses enfants en otage. Il n’a fui de son pays et n’est venu à Rome demander du secours au sénat que parce qu’il n’était retenu par aucun de ces deux liens. Mais les Séquanes vainqueurs ont éprouvé un sort plus intolérable que les Héduens vaincus : en effet, Arioviste, roi des Germains, s’est établi dans leur pays, s’est emparé du tiers de leur territoire, qui est le meilleur de toute la Gaule, et leur ordonne maintenant d’en abandonner un autre tiers à vingt-quatre mille Harudes qui, depuis peu de mois, sont venus le joindre, et auxquels il faut préparer un établissement. Il arrivera dans peu d’années que tous les Gaulois seront chassés de leur pays, et que tous les Germains auront passé le Rhin ; car le sol de la Germanie ne peut pas entrer en comparaison avec celui de la Gaule, non plus que la manière de vivre des deux nations. Arioviste, une fois vainqueur de l’armée gauloise dans la bataille qui fut livrée à Admagétobrige, commanda en despote superbe et cruel, exigea pour otage les enfants de tous les nobles, et exerce contre eux tous les genres de cruauté, si l’on n’obéit aussitôt à ses caprices ou à sa volonté : c’est un homme barbare, emporté, féroce ; on ne peut supporter plus longtemps sa tyrannie. Si César et le peuple romain ne viennent pas à leur secours, tous les Gaulois n’ont plus qu’une chose à faire : à l’exemple des Helvètes, ils émigreront de leur pays, chercheront d’autres terres et d’autres demeures éloignées des Germains et tenteront la fortune, quel que soit le sort qui les attende. Si Arioviste venait à connaître leurs révélations, nul doute qu’il ne livrât tous les otages en son pouvoir aux plus affreux supplices. César, par son autorité, par ses forces, par l’éclat de sa victoire récente, et avec le nom du peuple romain, peut empêcher qu’un plus grand nombre de Germains ne passent le Rhin, pour défendre la Gaule entière contre les violences d’Arioviste."

Diviciacos cessa de parler, et tous ceux qui étaient présents, fondant en larmes, implorèrent le secours de César. Remarquant que les Séquanes seuls s’abstenaient de faire comme les autres ; que, tristes et la tête baissée, ils regardaient la terre, César s’étonne de cet abattement et leur en demande la cause. Ils ne répondent rien et restent plongés dans cette tristesse muette. Il les presse à plusieurs reprises sans pouvoir tirer d’eux aucune réponse. Alors l’Héduen Diviciacos reprend la parole :" Tel est, dit-il, le sort des Séquanes, plus malheureux encore et plus intolérable que celui des autres Gaulois ; seuls, ils n’osent se plaindre, même en secret, ni réclamer des secours, et la cruauté d’Arioviste absent leur inspire autant d’effroi que s’il était devant eux.Les autres ont du moins la liberté de fuir ; mais les Séquanes, qui ont reçu Arioviste sur leurs terres, et dont toutes les villes sont en son pouvoir, se voient forcés d’endurer tous les tourments."

Essai de négociation avec Arioviste

Instruit de tous ces faits, César relève par quelques mots le courage des Gaulois et leur promet de veiller sur eux dans ces conjonctures. Il a tout lieu d’espérer que, par reconnaissance et par respect pour lui, Arioviste mettra un terme à ses violences. Après ces paroles, il congédia l’assemblée. Ces plaintes et beaucoup d’autres motifs l’engageaient à s’occuper sérieusement de cette affaire. D’abord il voyait les Héduens, que le sénat avait souvent appelés du titre de frères et d’alliés, asservis comme des esclaves à la domination des Germains ; il les voyait livrant des otages entre les mains d’Arioviste et des Séquanes, ce qui était honteux pour lui-même et pour la toute-puissance du peuple romain ; il voyait en outre le péril qu’il y avait pour la république à laisser les Germains s’habituer à passer le Rhin et à venir en grand nombre dans la Gaule. Ces peuples grossiers et barbares, une fois en possession de la Gaule entière, ne manqueraient pas sans doute, à l’exemple des Cimbres et des Teutons, de se jeter sur la province romaine et de là sur l’Italie, d’autant plus que la Séquanie n’était séparée de notre province que par le Rhône. César pensa donc qu’il fallait se hâter de prévenir ces dangers. Arioviste, d’ailleurs, en était venu à un degré d’orgueil et d’arrogance qu’il n’était plus possible de souffrir.

Il résolut donc d’envoyer à Arioviste des députés chargés de l’inviter à désigner, pour un entretien, quelque lieu intermédiaire. Il voulait conférer avec lui des intérêts de la république et d’affaires importantes pour tous deux. Arioviste répondit à cette députation que s’il avait besoin de César, il irait vers lui ; que si César voulait de lui quelque chose, il eût à venir le trouver ; que, d’ailleurs, il n’osait se rendre sans armée dans la partie de la Gaule que possédait César, et qu’une armée ne pouvait être rassemblée sans beaucoup de frais et de peine ; enfin, qu’il lui semblait étonnant que, dans la Gaule, sa propriété par le droit de la guerre et de la victoire, il eût quelque chose à démêler avec César ou avec le peuple romain.

Cette réponse étant rapportée à César, il envoie de nouveaux députés vers Arioviste, avec les instructions suivantes : "Puisqu’après avoir été comblé de bienfaits par le peuple romain et par César, sous le consulat de qui il avait reçu du sénat le titre de roi et d’ami, pour toute reconnaissance de cette faveur, il refuse de se rendre à l’entrevue à laquelle il est invité, et qu’il ne juge pas à propos de traiter avec lui de leurs intérêts communs, voici ce qu’il lui demande premièrement, de ne plus attirer dans la Gaule cette multitude d’hommes venant d’au-delà du Rhin ; en second lieu, de restituer aux Héduens les otages qu’il tient d’eux, et de permettre aux Séquanes de rendre ceux qu’ils ont reçus de leur côté ; de mettre fin à ses violences envers les Héduens et de ne faire la guerre ni à eux ni à leurs alliés. S’il se soumet à ces demandes, il peut compter sur l’éternelle bienveillance et sur l’amitié de César et du peuple romain ; s’il s’y refuse, attendu le décret du sénat rendu sous le consulat de M. Messala et de M. Pison, qui charge le gouverneur de la Gaule de faire ce qui est avantageux pour la république, et de défendre les Héduens et les autres alliés de Rome, il ne négligera pas de venger leur injure."

À cela Arioviste répondit que, de par le droit de la guerre, le vainqueur pouvait disposer à son gré du vaincu, et que Rome avait coutume de traiter les peuples conquis à sa guise et non à. celle d’autrui ; s’il ne prescrit pas aux Romains comment ils doivent user de leur droit, il ne faut pas qu’ils le gênent dans l’exercice du sien. Les Héduens ont voulu tenter le sort des armes et combattre ; ils ont succombé et sont devenus ses tributaires. Il a lui-même un grave sujet de plainte contre César, dont l’arrivée diminue ses revenus. Il ne rendra point aux Héduens leurs otages ; il ne fera la guerre ni à eux ni à leurs alliés, s’ils restent fidèles à leurs conventions et paient le tribut chaque année ; sinon, le titre de frères du peuple romain sera loin de leur servir. Quant à la déclaration de César "qu’il ne négligerait pas de venger les injures faites aux Héduens", personne ne s’était encore, sans s’en repentir, attaqué à Arioviste ; ils se mesureraient quand il voudrait ; César apprendrait ce que peut la valeur des Germains, nation invincible et aguerrie, qui, depuis quatorze ans, n’avait pas reposé sous un toit.

Nouvelles plaintes contre Arioviste

Dans le même temps que César recevait cette réponse, il lui venait des députés des Héduens et des Trévires. Les Héduens se plaignaient que les Harudes, nouvellement arrivés dans la Gaule, dévastaient leur pays ; ils n’avaient pu, même en donnant des otages, acheter la paix d’Arioviste. Les Trévires, de leur côté, l’informaient que cent cantons des Suèves étaient campés sur les rives du Rhin et tentaient de passer ce fleuve ; ils étaient commandés par deux frères, Nasua et Cimbérios. César, vivement ému de ces nouvelles, vit qu’il n’avait pas un instant à perdre ; il craignit, si de nouvelles bandes de Suèves se joignaient aux anciennes troupes d’Arioviste, qu’il ne devînt moins facile de leur résister. II fit donc rassembler des vivres en toute hâte, et marcha à grandes journées contre Arioviste.

César le précède à Besançon

Il était en marche depuis trois jours, lorsqu’on lui annonça que celui-ci, avec toutes ses forces, se dirigeait contre Besançon, la plus forte place des Séquanes, et que, depuis autant de jours, il avait passé la frontière. César crut devoir faire tous ses efforts pour le prévenir, car cette ville était abondamment pourvue de munitions de toute espèce, et sa position naturelle la défendait de manière à en faire un point très avantageux pour soutenir la guerre. La rivière du Doubs décrit un cercle à l’entour et l’environne presque entièrement ; la partie que l’eau ne baigne pas, et qui n’a pas plus de six cents pieds, est protégée par une haute montagne dont la base touche de chaque côté aux rives du Doubs. Une enceinte de murs fait de cette montagne une citadelle et la joint à la ville. César s’avance à grandes journées, et le jour et la nuit, s’en rend maître et y met garnison.

Panique de l’armée romaine

Pendant le peu de jours qu’il passa à Besançon, afin de pourvoir aux subsistances et aux vivres, les réponses que faisaient aux questions de nos soldats les Gaulois et les marchands qui leur parlaient de la taille gigantesque des Germains, de leur incroyable valeur, de leur grande habitude de la guerre, de leur aspect terrible et du feu de leurs regards qu’ils avaient à peine pu soutenir dans de nombreux combats, jetèrent tout à coup une vive terreur dans toute l’armée ; un trouble universel et profond s’empara des esprits. Cette frayeur commença par les tribuns militaires, par les préfets et par ceux qui, ayant suivi César par amitié, n’avaient que peu d’expérience de la guerre ; les uns, alléguant diverses nécessités, lui demandaient qu’il leur permît de partir ; d’autres, retenus par la honte, ne restaient que pour ne pas encourir le reproche de lâcheté ; ils ne pouvaient ni composer leurs visages ni retenir leurs larmes qui s’échappaient quelquefois. Cachés dans leurs tentes, ils se plaignaient de leur sort ou déploraient avec leurs amis le danger commun. Dans tout le camp chacun faisait son testament. Ces plaintes et cette terreur ébranlèrent peu à peu ceux mêmes qui avaient vieilli dans les camps, les soldats, les centurions, les commandants de la cavalerie. Ceux qui voulaient passer pour les moins effrayés disaient que ce n’était pas l’ennemi qu’ils craignaient, mais la difficulté des chemins, la profondeur des forêts qui les séparaient d’Arioviste, et les embarras du transport des vivres. On rapporta même à César que, quand il ordonnerait de lever le camp et de porter les enseignes en avant, les soldats effrayés resteraient sourds à sa voix et laisseraient les enseignes immobiles.

Discours de César

Ayant réfléchi sur ces rapports, il convoque une assemblée, y appelle les centurions de tous les rangs et leur reproche vivement et d’abord, de vouloir s’informer du pays où il les mène et juger ses desseins.Pendant son consulat, Arioviste a recherché avec le plus grand empressement l’amitié du peuple romain. Pourquoi le supposerait-on assez téméraire pour s’écarter de son devoir ? Quant à lui, il est persuadé que, dès qu’Arioviste connaîtra ses demandes, et qu’il en aura apprécié l’équité, il ne voudra renoncer ni à ses bonnes grâces ni à celles des Romains. Si, poussé par une démence furieuse, il se décide à la guerre, qu’y a-t-il donc à craindre ? et pourquoi désespérer de leur courage et de son activité ? Le péril dont les menaçait cet ennemi, leurs pères l’avaient bravé, lorsque, sous C. Marius, l’armée, repoussant les Cimbres et les Teutons, s’acquit autant de gloire que le général lui-même ; ils l’avaient eux-mêmes bravé tout récemment en Italie, dans la guerre des esclaves ; et cet ennemi avait cependant le secours de l’expérience et de la discipline qu’il tenait des Romains. On pouvait juger par là des avantages de la fermeté, puisque ceux qu’on avait, sans motif, redoutés quelque temps, bien qu’ils fussent sans armes, on les avait soumis ensuite armés et victorieux ; ce peuple enfin était le même qu’avaient souvent combattu les Helvètes, et qu’ils avaient presque aussi souvent vaincu, non seulement dans leur pays, mais dans le sien même et les Helvètes n’avaient cependant pu résister aux forces romaines. Que s’il en est qu’effraient la défaite et la fuite des Gaulois, ceux-là pourront se convaincre, s’ils en cherchent les causes, que les Gaulois étaient fatigués de la longueur de la guerre ; qu’Arioviste, après s’être tenu plusieurs mois dans son camp et dans ses marais, sans accepter la bataille, les avait soudainement attaqués, désespérant déjà de combattre et dispersés, et les avait vaincus plutôt par adresse et habileté que par le courage. Si de tels moyens ont pu être bons contre des barbares et des ennemis sans expérience, il n’espérait pas sans doute les employer avec le même succès contre des armées romaines. Ceux qui cachent leurs craintes sous le prétexte des subsistances et de la difficulté des chemins sont bien arrogants de croire que le général puisse manquer à son devoir, ou de le lui prescrire. Ce soin lui appartient ; le blé sera fourni par les Séquanes, les Leuques, les Lingons ; déjà même il est mûr dans les campagnes. Quant au chemin ils en jugeront eux-mêmes dans peu de temps. Les soldats, dit-on, n’obéiront pas à ses ordres et ne lèveront pas les enseignes ; ces menaces ne l’inquiètent pas ; car il sait qu’une armée ne se montre rebelle à la voix de son chef que quand, par sa faute, la fortune lui a manqué, ou qu’il est convaincu de quelque crime, comme de cupidité. Sa vie entière prouve son intégrité, et la guerre d’Helvétie le bonheur de ses armes. Aussi le départ qu’il voulait remettre à un jour plus éloigné, il l’avance ; et la nuit suivante, à la quatrième veille, il lèvera le camp, afin de savoir avant tout ce qui prévaut sur eux, ou l’honneur et le devoir, ou la peur. Si cependant personne ne le suit, il partira avec la dixième légion seule, dont il ne doute pas, et elle sera sa cohorte prétorienne. César avait toujours particulièrement favorisé cette légion et se fiait entièrement à sa valeur.

Les troupes, rassurées, marchent contre Arioviste

Cette harangue, produisant dans tous les esprits un changement extraordinaire, fit naître la plus vive ardeur et le désir de combattre. (2) La dixième légion, par l’organe des tribuns militaires, remercia aussitôt César d’avoir aussi bien présumé d’elle, et déclara qu’elle était prête à marcher au combat. Ensuite les autres légions lui députèrent leurs tribuns et les centurions des premiers rangs, pour lui adresser leurs excuses ; elles n’avaient jamais hésité, ni tremblé, ni prétendu porter sur la guerre un jugement qui n’appartient qu’au général. César reçut leurs excuses, et, après s’être enquis du chemin à prendre auprès de Diviciacos, celui des Gaulois dans lequel il avait le plus de confiance, il résolut de faire un détour de cinquante milles, afin de conduire son armée par un pays ouvert, et partit à la quatrième veille comme il l’avait dit. Le septième jour, il marchait encore quand il apprit, par ses éclaireurs, que les troupes d’Arioviste étaient à vingt mille pas des nôtres.

Entrevue de César et d’Arioviste

Instruit de l’arrivée de César, Arioviste lui envoie des députés "Il acceptait la demande qui lui avait été faite d’une entrevue, maintenant que César s’était approché davantage, et qu’il pensait pouvoir le faire sans danger." César ne rejeta point sa proposition. Il crut qu’Arioviste était revenu à des idées plus saines, puisque cette conférence qu’il lui avait d’abord refusée, il l’offrait de son propre mouvement. II espérait que, dès qu’il connaîtrait ses demandes, le souvenir des insignes bienfaits de César et du peuple romain triompherait de son opiniâtreté. L’entrevue fut fixée au cinquième jour à partir de celui-là. Dans cet intervalle, on s’envoya de part et d’autre de fréquents messages ; Arioviste demanda que César n’amenât aucun fantassin ; il craignait des embûches et une surprise ; tous deux seraient accompagnés par de la cavalerie ; s’il en était autrement, il ne viendrait point. César, ne voulant pas que la conférence manquât par aucun prétexte, et n’osant commettre sa sûreté à la cavalerie gauloise, trouva un expédient plus commode ; il prit tous leurs chevaux aux cavaliers gaulois, et les fit monter par des soldats de la dixième légion, qui avait toute sa confiance, afin d’avoir, s’il en était besoin, une garde dévouée. Cela fit dire assez plaisamment à un des soldats de cette légion "Que César les favorisait au-delà de ses promesses, puisqu’ayant promis aux soldats de la dixième légion d’en faire sa cohorte prétorienne, il les faisait chevaliers."

Dans une vaste plaine était un tertre assez élevé, à une distance à peu près égale des deux camps. Ce fut là que, selon les conventions, eut lieu l’entrevue. César plaça à deux cents pas de ce tertre la légion qu’il avait amenée sur les chevaux des Gaulois. Les cavaliers d’Arioviste s’arrêtèrent à la même distance ; celui-ci demanda que l’on s’entretînt à cheval, et que dix hommes fussent leur seule escorte à cette conférence. Lorsqu’on fut en présence, César commença son discours par lui rappeler ses bienfaits et ceux du sénat : "Il avait reçu du sénat le nom de roi, le titre d’ami ; on lui avait envoyé les plus grands présents, faveur accordée à peu d’étrangers, et qui n’était d’ordinaire que la récompense d’éminents services. Il avait, lui, sans y avoir aucun droit, sans titre suffisant pour y prétendre, obtenu ces honneurs de la bienveillance et de la libéralité de César et du sénat. Il lui rappela aussi les liens aussi anciens que légitimes qui unissaient les Héduens à la république ; les nombreux et honorables sénatus-consultes rendus en leur faveur ; la suprématie dont ils avaient joui de tout temps dans la Gaule entière, avant même de rechercher notre amitié ; l’usage du peuple romain étant de vouloir que ses alliés et ses amis non seulement ne perdissent rien de leur puissance, mais encore gagnassent en crédit, en dignité, en honneur. Comment souffrir que ce qu’ils avaient apporté dans l’alliance romaine leur fût ravi ?" Il finit par lui réitérer les demandes déjà faites par ses députés, qu’il ne fît la guerre ni aux Héduens ni à leurs alliés ; qu’il rendît les otages ; et, s’il ne pouvait renvoyer chez eux aucune partie des Germains, qu’au moins il ne permît pas à d’autres de passer le Rhin.

Arioviste répondit peu de choses aux demandes de César, et parla beaucoup de son mérite personnel. "Il n’avait point passé le Rhin de son propre mouvement, mais à la prière et à la sollicitation des Gaulois ; il n’aurait pas quitté son pays et ses proches sans la certitude d’une riche récompense. Les établissements qu’il possédait dans la Gaule lui avaient été concédés par les Gaulois eux-mêmes ; ils avaient donné volontairement des otages ; il levait par le droit de la guerre les contributions que les vainqueurs ont coutume d’imposer aux vaincus ; les Gaulois avaient commencé les hostilités bien loin que ce fût lui ; les peuples de la Gaule étaient venus l’attaquer en masse et poser leur camp en face du sien ; il avait, dans un seul combat, vaincu et dispersé toutes ces forces ; s’ils veulent de nouveau tenter le sort des armes, il est de nouveau prêt à combattre ; s’ils préfèrent la paix, il est injuste de lui refuser le tribut qu’ils avaient jusque-là payé de leur plein gré ; l’amitié du peuple romain devait lui apporter honneur et profit et non pas tourner à son détriment ; il l’avait recherchée dans cet espoir. Si Rome intervient pour lui enlever ses subsides et ses tributaires, il renoncera à son amitié avec autant d’empressement qu’il l’avait désirée. S’il faisait passer dans la Gaule un grand nombre de Germains, c’était pour sa propre sûreté et non pour attaquer les Gaulois ; la preuve c’est qu’il n’était venu que parce qu’on l’avait appelé ; que loin d’être l’agresseur, il n’avait fait que se défendre. Il était entré en Gaule avant les Romains ; jamais, avant ce temps, une armée romaine n’avait dépassé les limites de la province. Que lui voulait-on ? Pourquoi venait-on sur ses terres ? Cette partie de la Gaule était sa province, comme celle-là était la nôtre. De même qu’on ne lui permettait pas d’envahir nos frontières, de même aussi c’était de notre part une iniquité que de l’interpeller dans l’exercice de son droit. Quant au titre de frères que le sénat avait donné aux Héduens, il n’était pas assez barbare, ni assez mal informé de ce qui s’était passé, pour ignorer que dans la dernière guerre des Allobroges, les Héduens n’avaient pas envoyé de secours aux Romains, et qu’ils n’en avaient pas reçu d’eux dans leurs démêlés avec lui et les Séquanes. Il avait lieu de soupçonner que, sous des semblants d’amitié, César destinait à sa ruine l’armée qu’il avait dans la Gaule. S’il ne s’éloignait pas et ne faisait pas retirer ses troupes, il le tiendrait non pour ami mais pour ennemi. En le faisant périr, il remplirait les voeux de beaucoup de nobles et des principaux de Rome ; il le savait par leurs propres messagers ; et sa mort lui vaudrait leur reconnaissance et leur amitié. S’il se retirait et lui laissait la libre possession de la Gaule, il l’en récompenserait amplement, et ferait toutes les guerres que César voudrait entreprendre, sans fatigue ni danger de sa part."

César prouva par beaucoup de raisons qu’il ne pouvait pas se désister de son dessein. "Il n’était ni dans ses habitudes ni dans celles du peuple romain d’abandonner des alliés qui avaient bien mérité de la république, et il ne pensait pas que la Gaule appartînt plutôt à Arioviste qu’aux Romains. Q. Fabius Maximus avait vaincu les Arvernes et les Rutènes, et Rome, leur pardonnant, ne les avait par réduits en province, et ne leur avait pas imposé de tribut. S’il fallait s’en rapporter à la priorité de temps, elle serait pour le peuple romain un juste titre à l’empire de la Gaule ; s’il fallait s’en tenir au décret du sénat, elle devait être libre, puisqu’il avait voulu que, vaincue, elle conservât ses lois."

Pendant ce colloque, on vint annoncer à César que les cavaliers d’Arioviste s’approchaient du tertre et s’avançaient vers les nôtres, sur lesquels ils lançaient déjà des pierres et des traits. César mit fin à l’entretien, se retira vers les siens et leur défendit de renvoyer un seul trait aux ennemis. Car, bien qu’il jugeât pouvoir avec les cavaliers de sa légion d’élite soutenir le combat sans danger, il ne voulait cependant pas donner aux ennemis qu’il devait repousser sujet de dire qu’on les avait surpris à la faveur d’une conférence perfide. Quand on connut dans le camp l’arrogance des paroles d’Arioviste, la défense par lui faite aux Romains d’entrer dans la Gaule la brusque attaque de ses cavaliers contre les nôtres, laquelle avait rompu l’entrevue, l’armée en ressentit une impatience et un désir plus vifs de combattre.

Fourberie d’Arioviste

Deux jours après, Arioviste fit dire à César qu’il désirait reprendre les négociations entamées et restées inachevées, le priant de fixer un jour pour un nouvel entretien, ou au moins de lui envoyer un de ses lieutenants. César ne jugea pas à propos d’accepter cette entrevue, d’autant plus que la veille on n’avait pu empêcher les Germains de lancer des traits sur nos troupes. Il sentait aussi qu’il était très dangereux d’envoyer un de ses lieutenants et de l’exposer à la cruauté de ces barbares. Il crut plus convenable de députer vers Arioviste C. Valérius Procillus, jeune homme plein de courage et de mérite, dont le père, C. Valérius Caburus, avait été fait citoyen romain par C. Valérius Flaccus. Sa fidélité était connue et il savait la langue gauloise, qu’une longue habitude avait rendue familière à Arioviste, et les Germains n’avaient aucune raison pour le maltraiter. César lui adjoignit M. Métius qui avait été hôte d’Arioviste. II les chargea de prendre connaissance des propositions de ce dernier et de les lui rapporter. Lorsqu’Arioviste les vit venir à lui dans son camp, il s’écria en présence de ses soldats : "Que venez-vous faire ici ? Est-ce pour espionner ?" Et, sans leur donner le temps de s’expliquer, il les jeta dans les fers.

Préliminaires de la bataille

Le même jour il leva son camp, et vint prendre position au pied d’une montagne, à six mille pas de celui de César. Le lendemain, il fit marcher ses troupes à la vue de l’armée romaine et alla camper à deux mille pas de là, dans la vue d’intercepter le grain et les vivres qu’expédiaient les Séquanes et les Héduens. Pendant les cinq jours qui suivirent, César fit avancer ses troupes à la tête du camp, et les rangea en bataille, pour laisser à Arioviste toute liberté d’engager le combat. Arioviste, durant tout ce temps, retint son armée dans son camp, et fit chaque jour des escarmouches de cavalerie. Les Germains étaient particulièrement exercés à ce genre de combat. (5) Ils avaient un corps de six mille cavaliers et d’un pareil nombre de fantassins des plus agiles et des plus courageux ; chaque cavalier avait choisi le sien sur toute l’armée pour lui confier son salut ; ils combattaient ensemble. La cavalerie se repliait sur eux ; ceux-ci, dans les moments difficiles, venaient à son secours ; si un cavalier, grièvement blessé, tombait de cheval, ils l’environnaient ; s’il fallait se porter en avant ou faire une retraite précipitée, l’exercice les avait rendus si agiles qu’en se tenant à la crinière des chevaux, ils les égalaient à la course.

Voyant qu’Arioviste se tenait renfermé dans son camp, César, afin de n’être pas plus longtemps séparé des subsistances, choisit une position avantageuse à environ six cents pas au-delà de celle que les Germains occupaient, et ayant formé son armée sur trois lignes, il vint occuper cette position. II fit tenir la première et la seconde sous les armes et travailler la troisième aux retranchements. Ce lieu était, comme nous l’avons dit, à six cents pas à peu près de l’ennemi. Arioviste détacha seize mille hommes de troupes légères avec toute sa cavalerie pour effrayer nos soldats et interrompre les travaux Néanmoins, César, selon qu’il l’avait arrêté d’avance, ordonna aux deux premières lignes de repousser l’attaque, à la troisième de continuer le retranchement. Le camp une fois fortifié, César y laissa deux légions et une partie des auxiliaires, et ramena les quatre autres au camp principal.

Le lendemain, selon son usage, il fit sortir ses troupes des deux camps, et, s’étant avancé à quelque distance du grand, il les mit en bataille et présenta le combat aux ennemis. (2) Voyant qu’ils ne faisaient aucun mouvement, il fit rentrer l’armée vers le milieu du jour. Alors seulement Arioviste détacha une grande partie de ses forces pour l’attaque du petit camp. Un combat opiniâtre se prolongea jusqu’au soir. Au coucher du soleil, Arioviste retira ses troupes ; il y eut beaucoup de blessés de part et d’autre. Comme César s’enquérait des prisonniers pourquoi Arioviste refusait de combattre, il apprit que c’était la coutume chez les Germains de faire décider par les femmes, d’après les sorts et les règles de la divination, s’il fallait ou non livrer bataille, et qu’elles avaient déclaré toute victoire impossible pour eux, s’ils combattaient avant la nouvelle lune.

Défaite des Germains

Le jour suivant, César laissa dans les deux camps une garde qui lui parut suffisante, et plaça en présence des ennemis toutes les troupes auxiliaires, en avant du petit. Comme le nombre des légionnaires était inférieur à celui des Germains, les alliés lui servirent à étendre son front. Il rangea l’armée sur trois lignes et s’avança contre le camp ennemi. Alors, les Germains, forcés enfin de combattre, sortirent de leur camp et se placèrent, par ordre de nations à des intervalles égaux, Harudes, Marcomans, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens, Suèves ; ils formèrent autour de leur armée une enceinte d’équipages et de chariots, afin de s’interdire tout espoir de fuite. Placées sur ces bagages, les femmes tendaient les bras aux soldats qui marchaient au combat, et les conjuraient en pleurant de ne les point livrer en esclavage aux Romains.

César mit à la tête de chaque légion un de ses lieutenants et un questeur, pour que chacun eût en eux des témoins de sa valeur. Il engagea le combat par son aile droite, du côté où il avait remarqué que l’ennemi était le plus faible. Au signal donné, les soldats se précipitèrent avec une telle impétuosité et l’ennemi accourut si vite qu’on n’eut pas le temps de lancer les javelots ; on ne s’en servit point, et l’on combattit de près avec le glaive. Mais les Germains, ayant promptement formé leur phalange accoutumée, soutinrent le choc de nos armes. On vit alors plusieurs de nos soldats s’élancer sur cette phalange, arracher avec la main les boucliers de l’ennemi, et le blesser en le frappant d’en haut. Tandis que l’aile gauche des Germains était rompue et mise en déroute, à l’aile droite les masses ennemies nous pressaient vivement. Le jeune P. Crassus, qui commandait la cavalerie, s’en aperçut, et plus libre que ceux qui étaient engagés dans la mêlée, il envoya la troisième ligne au secours de nos légions ébranlées.

Le combat fut ainsi rétabli ; tous les ennemis prirent la fuite, et ne s’arrêtèrent qu’après être parvenus au Rhin à cinquante mille pas environ du champ de bataille ; quelques-uns, se fiant à leurs forces, essayèrent de le passer à la nage, d’autres se sauvèrent sur des barques ; de ce nombre fut Arioviste qui, trouvant une nacelle attachée au rivage, s’échappa ainsi. Tous les autres furent taillés en pièces par notre cavalerie qui s’était mise à leur poursuite. Arioviste avait deux femmes, la première, Suève de nation, qu’il avait amenée avec lui de sa patrie ; la seconde, native du Norique, soeur du roi Voccion, et qu’il avait épousée dans la Gaule, quand son frère la lui eut envoyée ; toutes deux périrent dans la déroute. De leurs filles, l’une fut tuée et l’autre prise. C. Valérius Procillus était entraîné, chargé d’une triple chaîne, par ses gardiens fugitifs. Il fut retrouvé par César lui-même qui poursuivait l’ennemi, à la tête de la cavalerie. Cette rencontre ne lui causa pas moins de plaisir que la victoire même ; l’homme le plus considéré de la province, son ami et son hôte, était arraché des mains des ennemis et lui était rendu ; la fortune n’avait pas voulu troubler par une telle perte sa joie et son triomphe. Procillus lui dit qu’il avait vu trois fois consulter le sort pour savoir s’il serait immédiatement brûlé ou si on renverrait son supplice à un autre temps ; et que le sort favorable l’avait sauvé. M. Métius fut aussi rejoint et ramené à César.

Quartiers d’hiver

Le bruit de cette victoire étant parvenu au-delà du Rhin, les Suèves, qui étaient déjà arrivés sur les bords de ce fleuve, regagnèrent leur pays. Les habitants de la rive, les voyant épouvantés, les poursuivirent et en tuèrent un grand nombre. César, après avoir ainsi terminé deux grandes guerres en une seule campagne, conduisit l’armée en quartier d’hiver chez les Séquanes, un peu plus tôt que la saison ne l’exigeait. Il en confia le commandement à Labiénus et partit pour aller tenir les assemblées dans la Gaule citérieure


sources :"La guerre des Gaules " Jules César cette traduction française est celle de la Collection Nisard : Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus : oeuvres complètes, Paris, 1865

Messages et commentaires

  • Les commentaires sur la guerre des Gaules écrits par Jules César sont la principale source de connaissance sur ces événements.
    Bien qu’il les ait relatés et amplifiés à son avantage pour servir ses ambitions politiques, les faits décrits sont indéniables.
    Je suis à la recherche d’autres témoignages qui auraient pu être écrits pendant cette période et qui pourraient confirmer ou contredire ce que relate Jules César.
    Vérité, vérité, c’est mon obsession.
    Merci.

    Georges

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